De la façon dont se déroule l’enrôlement des citoyens pour l’obtention des nouvelles pièces d’identité biométriques je m’inquiète. Au tamis des critères érigés pour séparer la souche mauritanienne originale des impuretés ethniques étrangères, très peu d’entre nous pourront passer.
Et les responsables de l’Etat civil, l’Administrateur Directeur Général M’Rabih en tête, l’ont encore répété la semaine dernière à la Télévision, avec une mâle détermination dans la voie : la saison de la chasse aux étrangers est ouverte et ça va saigner ! Si vous êtes né d’un parent étranger, si vous êtes né à l’étranger, si votre faciès ne revient pas aux membres des commissions, si vous ne connaissez pas Ba Silèye et Magatt, entre autres critères, vous n’avez aucune chance de vous faire recenser.
Les commissions sont très pointilleuses et le moindre soupçon de descendance étrangère jusqu’à Adam peut vous valoir d’être laissé sur le carreau.
Après deux mois de travail, faisons le point, si vous le voulez bien, de ceux de nos compatriotes que nous avons déjà perdus (définitivement ?) et de ceux que nous perdrons à l’issue de cette période ouverte pour l’obtention des nouvelles pièces d’état civil.
La première victime, celle dont l’affaire a été médiatisée s’appelle Mme Sy née Lalla Aïcha Ouédraogo. La commission n’a pas eu à chercher bien loin, Ouédraogo sonnant très clairement voltaïque, elle est récusée ! La venue de son grand-père au Brakna pour apprendre le Coran et le fait d’avoir une mère mauritanienne comme le stipule la loi, n’y changeront rien. Comme sera récusée d’avance une autre famille Ouédraogo originaire de Sélibaby dont le fils est premier conseiller d’ambassade à Genève.
A cas similaire, même traitement ! Lalla Aïcha a beau protester, les décisions des commissions de M’Rabih sont au-dessus de la loi votée par le parlement et de la réglementation établie par le gouvernement. Nous sommes en Mauritanie !
La deuxième victime s’appelle Wane Birane. Professeur d’université, directeur de l’Aménagement du Territoire et Consultant spécialiste en Sécurité alimentaire, c’est un puular mauritanien pur souche, sa mère est une Soubak (tribu du Brakna) et son grand-père est le premier officier mauritanien qui donna son nom au fort de Nouakchott, construit vers les années 1910, et que l’on transforma depuis en une prison (prison Bayla au Ksar). Ce grand-père est surtout le seul mauritanien membre du premier conseil d’administration qui gérait la Mauritanie avant qu’elle n’accède au statut de colonie. Ce devait être pour Birane une simple formalité, ses papiers étant en règle. Mais c’était compter sans l’ingéniosité des membres de la commission.
– Hum…Connaissez-vous Ba Silèye ?
– Je connais même Silèye Ould M’Beckou ! (c’est ainsi que les maures appellent cette famille qui a longtemps vécu à Moudjéria).
– Connaissez-vous sa femme Magatt ?
– Donnez-moi mes papiers ! je refuse que la connaissance de Magatt, Silèye ou toute autre personne soit considérée comme un critère d’attribution de pièces d’identité.
Depuis, Birane boude l’enrôlement. Et pourquoi ne bouderait-il pas s’il devrait passer par l’honorable Magatt née … au Sénégal !
La victime suivante est une famille qui a donnée à la Mauritanie une ville (Néma), 2 ministres (Finances et Santé) et 1 Haut Commissaire de l’OMVS. Les frères Moulaye Dakhil (Moulaye Abdel Moumine et Moulaye Abdallah) ont été récusés par la très efficace commission du Ksar pour cause de naissance à l’étranger (Ouagadougou). Leur grand frère Moulaye Mohamed n’a pas eu plus de chance : le membre de la commission de Tevragh Zeina qui reçut en premier ses pièces d’Etat civil lui a déclaré qu’il irait au devant de gros problèmes !
La réponse du membre de la commission le mis en colère et il renonça à continuer ses démarches. La majeure partie de leur famille est dans ce cas. Même le petit Sidi Mahmoud qui vient juste d’avoir son bac ne pourra pas s’enrôler puisqu’il est né à Sfax, donc un potentiel dangereux étranger. Le cas de Ehel Moulaye Dakhil est désespéré ! Leur fils Mehdi Ould Moulaye El Hassan, aujourd’hui cadre à la Banque Islamique de Développement, a eu la mauvaise idée de publier une monumentale étude en 2002 sur la Saga saharienne des Awlad Sidi Hammou Ben El Haj où il démontre leur origine filalienne et leur récente émigration au Hodh au XVIIè siècle. C’est un aveu. Originellement ils ne sont pas mauritaniens et on ne peut pas le cacher à la commission qui est très renseignée.
Ehel Moulaye Dakhil vont entraîner avec eux dans leur chute tous leurs cousins de Oualata et de Néma. Exit les Guig, les Moulaye Driss, les Moulaye Chrif, les Moulaye Ely, les Moulaye Smail, les Baba Aïnina, etc. Tout ce beau monde est rentré clandestinement dans le pays au 17ème siècle en évitant les points de passage créés par Ould Boïlil… 400 ans plus tard! C’est grâce aux commissions mises en place depuis deux très longs mois que ces vilains clandos ont été découverts.
Moi je vous le dit : ce M’Rabih, que les communicants de la table ronde à la TVM l’autre soir appelait familièrement et très très respectueusement « ADG », est de l’étoffe des héros. Il vous nettoiera le pays ! Pendant que j’y suis, les commissions ont déjà repéré tous les chérifs dont elles disent que leur place est au Hedjaz, pas à Nemjat ou Ten Hoummad. Et tant pis si l’on perd Ely Chikh ou Cheikh Ould Ahmed Ould Ethmane. L’inflation de chérif des années 80 sera fatale pour beaucoup. Et c’est trop tard pour renoncer à ce statut : l’ADG veille ! Tiens ! L’auteur de l’article passe à la trappe.
Avant même le commencement du recensement, nous avions déjà perdu, par un système ingénieux, plusieurs de nos compatriotes. Les organisateurs du recensement ont estimé qu’un vrai mauritanien est un maure, parfois halpuular, de temps en temps soninké et très peu Wolof. Leurs fiches n’ont prévu que 4 cases pour ses ethnies. Généralement, dans ce genre de situation on ajoute toujours une case « Autre » au cas où. Pour l’ADG, le « cas où » n’existe pas.
Mon ami Mouhamedou Keïta dit Vieux, professeur de son état et directeur du Lycée de Toulel au Gorgol que j’ai accompagné devant la commission de Tevragh Zeina, m’a quitté d’ethnie bambara et m’est revenu d’ethnie maure ! Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu qu’il n’avait pas le choix : ou il choisit l’une des quatre ethnies proposées ou il devient pour la vie un étranger.
Il a choisit l’ethnie de sa mère. Je suis curieux de savoir, le moment venu, le choix de son jeune frère le Colonel Boubacar Keïta du Génie militaire : wolof ou soninké ?
Par ce génial procédé, un bon mauritanien ne peut avoir pour nom de famille Diarra, Dicko, Traoré, Couloubaly, Doumbia, Dembélé, Dramé, Touré, Cissoko, Cissé, Keïta, Konaté, Koné ou Tounkara. L’éthnie bambara est officiellement absente de Mauritanie. Nous savons tous que la Mauritanie n’a pas de frontière de 2500 km avec le Mali, que le Hodh ne faisait pas partie du Soudan français jusqu’en 1945, qu’aucun tirailleur ou employé de l’AOF n’a jamais servi dans notre pays, enfin que Bambaradougou (le plus ancien quartier de Sélibaby construit par les descendants des Bambaras Massassit, premiers colonisateurs de la région du Guidimakha avant Idaw Ich et les Français) est une pure invention de l’esprit fertile de l’auteur de l’article. Comment dans ce cas voulez-vous qu’il y ait des bambaras chez nous ?
Par ce système nous avons aussi perdu nos palestiniens, nos libanais (la famille Kamel en tête), nos syriens, nos marocains (au revoir Berrada !), nos algériens, toute la ligue arabe qui nous était pourtant très chère et pour l’adhésion de laquelle nous avions fourni tant d’efforts et abandonné jusqu’à notre berbérité pour l’avoir. Bon, si l’ADG dit que toutes ces ethnies n’existent pas en Mauritanie, il faut le croire : Il connaît mieux le pays que nous tous. Faisons-lui confiance, il est des Oulad Bousba, tribu venue en Mauritanie entre le XVIIè et le XIXè siècle en même temps que les Tekna, Rgueybat, Torkoz, Idaw Blal et Smalil.
Toutes ces tribus sont originaires de la région comprise entre la plaine du Souss, le Wad Noun et la vallée du Dar’a (Maroc). Non, non, ce n’est pas moi qui le dit mais P. Richard à propos des Ould Bousba dans «Une tribu marocaine en Mauritanie » publié dans le Bulletin Trimestriel de la Société de Géographie et d’Archéologie d’Oran. Et savez-vous ce qu’elles venaient faire dans le bled ? Je vous le donne en mille, sous la responsabilité de Cheikh Mohamed El Yedaly (1096-1166H / 1684-1752G) et Mouhammeden Ould Babah (Kitab Chym Zwâya- l’histoire de la Mauritanie) !
« Sont venues en Mauritanie au début du XVIIè siècle des vagues successives d’Arabes en provenance du Sud du Maroc, soit pour s’y établir, soit pour piller, leur objectif étant les communautés les plus faibles… ». Cela se passe de commentaire !
Ce système de seulement quatre ethnies reconnues fait exclure définitivement les métisses. Fini les Guerlain, Benza, Michel, Jules, Julien, Cimper, Marco, Lemonde, Bontemps, Bouraya, Nakli, Lopez et Négri. C’est le cas aussi pour tous les fils de Chef, d’Adjudant, de Sergent et de Lieutenant. On le sait, tous les grades français ont laissé leur ADN en Mauritanie et particulièrement à Akjoujt. A moins qu’ils ne choisissent l’ethnie de leurs mères. Dans ce cas de figure, on aura sauvé le Général Félix Négri (Chef d’Etat Major de la Garde Nationale), Mouhamedou Ould Michel (chargé de mission à la Présidence) et Sidi Mohamed Ould Bouraya (Trésorier Général de la République) ! Pourront en profiter aussi Brahim Ould Aly N’Diaye (ancien colonel de l’Armée Nationale) et Abdoullah Kamara (actuel président de la commission de recensement de Tevragh Zeina).
Il suffit aux commissions de se pencher sur l’histoire de la Mauritanie (il paraît que l’Etat Civil est entrain de piller les bibliothèques à la recherche de livres d’histoires) pour découvrir que les traitres historiens ont déjà établit qui est qui dans le pays. Tous ceux qui se disent « Arabes Hassanes » sont d’installation récente et donc des étrangers. L’histoire des Emirats de l’Adrar, du Trarza, du Brakna, du Tagant et du Hodh ne sera plus enseignée aux enfants. Bon débarras ! L’imam Hadrami aussi est un étranger et avec lui toute sa progéniture (une partie des Smacides).
Les Sanhaja (Lemtouna, Goddala, Messoufa et Tachedbit) ont émigré du « Souss, de l’Anti-Atlas et de l’Oued Noun vers le Sud et le Sud-est » (Voir Geneviève Désiré-Vuillemin, Histoire de la Mauritanie, des origines à l’Indépendance, Editions Karthala 1997, Paris. p. 331 et suiv.). Ce sont des bandits d’étrangers tapis parmi les mauritaniens véritables et par conséquent ils passent dessus bord. Pour résumer, tout l’élément maure est historiquement étranger à cette terre.
J’entends d’ici l’ADG demander qu’on lui fournisse les résultats de sa guerre contre les étrangers. Et les commissions de répondre qu’elles ont réussi à vider le Hodh, le Tagant, l’Adrar, le Tiris Zemmour, l’Inchiri, Dakhlet Nouadhibou, l’Assaba, les 4/5 du Trarza, la moitié du Brakna et quelques poches au Gorgol et au Guidimakha. Un peu incrédule, l’ADG demande ce qui reste. On lui répond : les habitants de la vallée, quelques descendants des Bafors et une partie des héritiers de l’Empire soninké de Ghana. Fou de rage, l’ADG hurle :
– Mais ce n’est pas l’objectif ! Nous cherchions depuis belle lurette à établir que les noirs sont venus avec les français comme tirailleurs, comme nous l’avait suggéré un jour le patriote Ahmed Ould Wafi, et je découvre que ce sont les maures qui sont de « mauritanité » récente ! Je vais appeler Macina, il est intelligent. Il trouvera toujours une solution.
– ADG, Macina est un nom étranger qui vient d’une région du Mali (le Macina).
– Je suis catastrophé ! Que faire ?
– Les commissions ont une solution, mais elle est radicale.
– Tant mieux ! Vite, le temps presse. Donnez-la-moi !
– Adam et Eve se sont-ils rencontrés à Nouakchott ?
– Non !
– S’y sont-ils déclarés mari et femme ?
– Non !
– Y ont-ils vécu ?
– Non !
– Alors ils n’ont pas pu y faire des enfants !
– Malignes les commissions ! Tout le monde dehors ! Les mauritaniens sont tous des étrangers. Fermons boutique !
Je vous l’avais bien dit : ce M’Rabih est un véritable héro ! Il va réussir le tour de force de défaire en très peu de temps tout ce que les mauritaniens ont bâti durant des siècles.
Je suis sûr que le Président de la République et le Gouvernement n’ont pas créé ce projet pour revenir sur les acquis obtenus dans le domaine de l’unité nationale. Je suis sûr aussi qu’ils ont à cœur d’éviter à la Mauritanie le scénario ivoirien qui a commencé par un concept d’ivoirité qui consistait à exclure l’autre, et qui s’est terminé par une guerre civile qui a divisé le pays en deux et mis à genou son économie. Je suis certain qu’ils ne veulent pas entraîner le pays dans une situation comparable à celle de 1989 dont ils viennent de régler une grande partie des conséquences.
Le Président et le Gouvernement ont pourtant à portée de main un plan B : par exemple permettre à tous les citoyens munis de toutes les pièces d’état civil et d’identité requises de s’inscrire tout simplement sans tracasseries. Les questions et les enquêtes, le cas échéant, doivent viser seulement ceux qui n’ont pas pu apporter les documents nécessaires. Toute l’opération devra se faire aussi avec dignité.
Même ceux qui seraient récusés ont le droit au respect. Il faut le savoir : un Etat où l’administration ne respecte pas le citoyen est un Etat failli. Il faut le retenir : aucune personne n’acceptera jamais de vivre avec une citoyenneté diminuée.
En écrivant ces mots, j’ai en mémoire les termes du discours de Cheikh Saad Bouh Kane au nom de la Subdivision de Boghé devant le Congrès d’Aleg les 2-3-4 et 5 Mai 1958, je cite : « La Mauritanie du Chemama veut se sentir égale en droit et en devoir à sa sœur du Sahel. L’égalité est une et, en cette matière, il ne saurait y avoir de simulacre ». C’est à méditer.
Ahmed Jiddou Aly