En lisant l’ouvrage d’Amadou Oumar DIA « Peuls et paysans », consacré aux Halayɓe de Mauritanie, j’ai été interpellé par les différentes significations attribuées au mot « halayɓe », qui représente une communauté peule du Fuuta, occupant un territoire situé entre le Tooro et le Laaw, de part et d’autre du fleuve Sénégal.
Les « halayɓe » s’organisent en plusieurs leYYi (fractions ethniques). Suivant leur occupation du sol (kolangal), ils se répartissent en trois sous-groupes :
En lisant l’ouvrage d’Amadou Oumar DIA « Peuls et paysans », consacré aux Halayɓe de Mauritanie, j’ai été interpellé par les différentes significations attribuées au mot « halayɓe », qui représente une communauté peule du Fuuta, occupant un territoire situé entre le Tooro et le Laaw, de part et d’autre du fleuve Sénégal.
Les « halayɓe » s’organisent en plusieurs leYYi (fractions ethniques). Suivant leur occupation du sol (kolangal), ils se répartissent en trois sous-groupes :
– Les halayɓe Demeth,
– Les halayɓe Mboon,
– Les halayɓe Suska ou Susga.
Ils peuplent ainsi les villages de Demteh, Bakaw, Loopel, Ceenel, ɓogge, Tulde–Dubaango, Cide, ñooli, Abbay, Gurel Mammadu Samba, Sahre Ndoogu, Gurel Buubu, Sae, Calgu, Dubunnge, Mboon jeeri, Mbangu, ñaakaaka, ŋorel, Njorol, Saasel, Ari Haara, Beeli Coyi, Ndormbos, Daara Halayɓe, Kogga ….
Les différentes significations données au mot halayɓe s’appuient sur un découpage morphologique qui distingue le radical « halay » et le marqueur pluriel des humains « ɓe ». Suivant cette analyse, le mot halayɓe :
1. serait une dérivation et une déformation de « saliiɓe » « ceux qui ont refusé », du verbe salaade, toute forme de domination des Laam Tooro ou d’origine étrangère (maure, française) ;
2. viendrait de « kalhaldi » (taureau) pour souligner le caractère guerrier du peuple halayɓe ;
3. serait une déformation du mot «hulaaɓe » «ceux qui sont craints » ;
4. viendrait de « haliiɓe» ou «halkiiɓe» «ceux qui sont perdus », en raison de leurs « particularismes » et de leur volonté de vivre plus ou moins isolés des toorankooɓe et laawankooɓe;
5. signifierait «ceux qui ne font tort à personne », «qui sont jaloux de leur liberté » et sont prêts à la défendre au prix de leur vie.
Nous voulons proposer un autre découpage morphologique différent du mot qui est «hal-ay-ɓe », qui distingue la racine « hal» et le suffixe «-ɓe » représentant le marqueur pluriel des humains; quant à l’élément «ay», il est considéré ici comme un augment, c’est-à-dire un élément qui s’ajoute à la racine ou base lexicale pour former le radical « hal-ay ».
En pulaar, la forme de l’augment « ay » apparaît dans des constructions nominales impliquant le marqueur pluriel «-ɓe », comme c’est le cas avec les mots : « rim-ay-ɓe », « yomb-ay-ɓe », et donc « hal-ay-ɓe ».
Cette analyse nous conduit à isoler la racine /hal/, cette dernière, étant donné les variations morphologiques qui conditionnent les formes d’alternances consonantiques dans les radicaux du pulaar, aboutit à « kal », comme nous pouvons le constater à travers le mot « kal–a-jj-o», qui est le singulier de « hal–ay-ɓe » (avec une alternance « h » et « k » à l’initiale du radical).
On remarquera que dans «kal-a-jj-o », c’est la forme de l’augment, à travers la palatale « y » du mot « hal-ay-ɓe », qui gémine en « jj », ce qui est tout à fait logique, puisqu’en pulaar, les alternances consonantiques s’effectuent dans un même ordre phonétique, en l’occurrence, il s’agit ici de deux palatales (y et jj) qui alternent dans le radical. Cette règle se vérifie aussi à travers les exemples suivants :
«rim-ay–ɓe » et «dim-aa-j-o »,
« yomb-ay–ɓe et «jomb-aa-j-o ».
Suivant ce découpage morphologique, nous pouvons dire que le mot « hal-ay-ɓe », qui a pour singulier « kal-a-jj-o », est formé à partir de la racine «hal », du verbe «hal-de» qui fait référence non pas directement à « ngaari » (bœuf), mais à sa qualité de « kal-oo-ri », c’est-à-dire de concepteur, de géniteur, qui, en peul, peut aussi bien s’appliquer au taureau qu’au bélier.
Ainsi «hal-ay-ɓe » signifie ceux qui s’identifient au symbole géniteur du taureau ou du bélier, à sa puissance et à sa fonction vitale. En effet, le taureau (kaloori) comme le bélier (kalhaldi) symbolisent la fonction de reproduction et de continuité de la vie, notamment en ce qu’elle a de qualitatif et de sacré.
« kalhal-i » et « kalhal-di », qui représentent respectivement les formes singulier et pluriel du mot, se particularisent ici par le dédoublement de leur radical (kal–hal), avec une variation (h et k), renvoient aussi à cette notion de puissance, de virilité, de conception et de reproduction liée à la fonction du géniteur.
Les « halayɓe », dans leur univers de représentation et de symbolisation, ont sans doute vu et reconnu à travers le taureau ou le bélier l’incarnation de cette notion de puissance et de fécondité masculine suprême associées au rôle du géniteur (le mâle), qui seul, perpétue la lignée de sa descendance.
Il faut rappeler, qu’en milieu pulaar, le symbole de puissance ou de virilité est généralement associé à « ngaari ». On a fréquemment recours à l’expression « o ko ngaari » pour souligner la bravoure ou l’audace. Dans l’univers aquatique, c’est « ngaari maayo », qui est identifié comme force ultime de puissance et de pouvoir. Il en est de même de « ngaari Laaw », symbole d’héroïsme dans le Fuuta Tooro.
Ainsi, en se choisissant comme symbole et allié taureau (« kal-oo-ri ») ou bélier (« kal-hal-di »), les « hal-ay-ɓe » s’identifient directement à cette force ou puissance suprême fondatrice de leur liberté et de leur intégrité (sociale et territoriale).
Le caractère fier et guerrier de ce peuple, qui subsiste encore aujourd’hui à travers l’expression « kalajjo piitotooɗo becce », renvoie à cette image du « kaloori », qui ne peut naturellement se soumettre, ni être soumis. Ce sentiment de fierté et de liberté traduit le désir ardent d’autonomie des « halayɓe », que ce soit à l’égard des Laam Tooro, des Farba du Laaw, des Almaami du Fuuta, des maures du Brakna, ou plus tard, à l’égard des colons.
Niang Oumar, Docteur en linguistique