Petite polémique sur l’origine du mot «capaato» : 2e partie : « Muudo horma[1] », esclavage et ancêtres

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2e partie : « Muudo horma[1] »,  esclavage et ancêtres

M. S à ACB

Vos éclairages n’abondent pas dans le sens de l’histoire. Vous évoquez les razzias des jengelɓe, que je sache, ceci n’était en rien comparable au fameux   :  « muddo horma » que le Fuuta devait s’acquitter annuellement aux tribus maures.

L’expression « maa rewo ronkaa, nde worgo wonaa » traduit bien les effets désastreux des razzias des maures sur les populations du Fuuta.

2e partie : « Muudo horma[1] »,  esclavage et ancêtres

M. S à ACB

Vos éclairages n’abondent pas dans le sens de l’histoire. Vous évoquez les razzias des jengelɓe, que je sache, ceci n’était en rien comparable au fameux   :  « muddo horma » que le Fuuta devait s’acquitter annuellement aux tribus maures.

L’expression « maa rewo ronkaa, nde worgo wonaa » traduit bien les effets désastreux des razzias des maures sur les populations du Fuuta.

Aujourd’hui, le pays dans lequel vous habitez, la Mauritanie, a une population dont plus 40% est d’origine esclave. D’où viennent ces esclaves? L’historien, soi-disant  que vous êtes, s’est-il seulement posé la question? Apparemment non, car vous êtes plus préoccupé à scruter l’avenir, à donc « dessiner de perceptives nouvelles » pour les peuples, qu’à rendre objectif les faits du passé.

 En vous lisant, je me dis, que nos anciens, eux, au moins, savaient identifier les pratiques de leurs ennemis ‘ »maures ». Les wolofs font pareil quand ils disent « naar ». Pourquoi? voilà une question qui devrait éveiller, émoustiller  votre fibre d’historien!!! 

Vous nous faites toute une tirade sur les fondements historiques du fuuta, que je sache, les wolofs comme les sereres ont bien cohabité avec les fulɓe, au point que :

nit = neɗɗo ; mbaam = mbabba ;nakk = nagge ; goor = gorko ; gis (verbe) = gite ; bey = mbeewa ; fas = puccu ; jambaar = jambaaro, etc.

ACB à M. S

J’essaierai de répondre à vos questions, autant que cela me sera possible, et de vous donner mon avis sur un certaines de vos opinions et affirmations (en gras et en italique dans le texte).

« Vos éclairages n’abondent pas dans le sens de l’histoire. Vous évoquez les razzias des jeŋgelɓe, que je sache, ceci n’était en rien comparable au fameux  « muddo horma » que le Fuuta devait s’acquitter annuellement aux tribus maures ».

Vous avez évidemment raison de souligner que les razzias venues du Ferlo  (de même d’ailleurs que celles venues du nord) et le « muudo Horma » n’avaient pas la même dimension historique. Il me semble pourtant plus judicieux de comparer les razzias entre elles, et plus pertinent d’imaginer la perception que les populations du Fuuta de ces périodes-là pouvaient en avoir.

Peut-on raisonnablement penser que les Fuutaŋkooɓe du passé appréciaient les attaques et les torts qu’ils subissaient selon la couleur de peau, l’ethnie, la langue ou la religion de leurs agresseurs ? Qu’ils éprouvaient douleur et affliction quand les razzieurs étaient des Maures ; joie et allégresse quand il s’agissait de leurs propres frères, déferlant du Ferlo.

Ce que sous-entend la formulation de votre question c’est que, quelque douloureuses qu’elles aient pu être, les razzias venues du Ferlo étaient moins intolérables que celles conduites par les Maures,  et moins dévastatrices que le « muudo Horma ».

Vous aurez  noté que je dis “razzias venues du Ferlo” (…) et vous avez compris que je n’avais attribué ces razzias aux seuls Njeŋgelɓe que pour deux raisons. Parce que mon cousinage patronymique avec les Kah me donne l’agréable privilège de leur attribuer la paternité de tous les maux de l’univers, sans risque de recevoir un coup de machette vengeur. Et parce que la proximité des sonorités de Njeŋgello et de njayngol (feu), aurait pu donner à un linguiste manipulateur de radicaux la vilaine idée d’exploiter le procédé dont vous avez usé pour établir l’improbable parenté étymologique entre « capaato » et « safar ».

« L’expression « maa rewo ronkaa, nde worgo wonaa » (c’est quand le nord devint inaccessible que le sud fut habité) ne traduit-elle pas les effets désastreux des razzias des Maures sur les populations du Fuuta ? »

L’expression me semble avoir un sens plus large que celui des seuls effets des razzias des Maures. Elle traduit, à la fois, un sentiment de perte irréparable, un aveu impuissance et une profonde nostalgie collective.

Perte d’une terre dont on ne sait pas si le nom (Rewo) désigne un point cardinal (le nord) ou un symbole de féminité (Rewɓe, sing. : dewbo), ou s’il est une fusion mythifiée des deux.

Impuissance à revenir en arrière, et résignation à vivre dans un Worgo (sud), symbole masculin (gorko, pl. worɓe), perçu comme une terre d’exil et une sorte de pays par défaut, aux frontières indéfinies, car  on ne peut dire avec précision s’il s’agit de la rive gauche du fleuve ou de la limite sud du  Jeeri Fuuta.

Nostalgie d’un âge d’or (espaces infinis, vastes pâturages herbeux, immenses troupeaux de bovidés, lacs et dalli poisonneux) qui, encore aujourd’hui, nourrit l’imaginaire collectif des Halpulaar’en.

« Maa rewo ronkaa, nde worgo wonaa » cristallise une large gamme de sentiments et de constats nés des conséquences historiques et humaines de plusieurs  facteurs conjugués (assèchement des parties centrales de l’actuelle Mauritanie, aléas climatiques divers, raréfactions des ressources environnementales, conflits entre groupes rivaux, etc.). Parmi ces facteurs, la pression continue due à l’avancée des populations berbères (puis Arabes), entre le XIe et le XVIIIe siècles, a été un élément souvent décisif.

Nous ne savons rien des différentes poussées qui ont précédé l’avancée des tribus berbères vers le centre et le sud de la Mauritanie. Mais sauf à se contenter béatement d’une version irénique de l’histoire des relations entre populations proto-soninke, wolofs, sérères, peules et autres communautés dont les noms ne sont pas parvenus jusqu’à nous (éteintes, dissoutes ou digérés dans de nouveaux ensembles), il est fort à parier qu’elles ont été émaillées de conflits, et que ceux-ci se sont quelquefois résolus dans la violence, le sang et l’expulsion des vaincus vers d’autres horizons.

Ce que l’on sait, c’est que la constitution de l’Etat du Tekrour, du Walo, du royaume du Gadiaga et des communautés soninko du Guidimakha ont fixé les populations noires à cheval sur le fleuve, et ont relativement stabilisé les rapports avec les « émirats, constitués entre-temps. Les rapports de force entre le Fuuta et ses voisins, dont les émirats du Brakna et du Trarza, ont été mouvants. De Koli Teŋgella à la fin du règne de Sawa Laamu, ainsi que durant la première période de l’almamiyat, le Fuuta joue un rôle majeur, voire prédominant, dans la sous-région.

Ce que l’on sait également, c’est que les conflits majeurs dans la région ont presque toujours opposé des alliances composites Nord+Sud et des coalitions de composition et de  configuration géographique similaires : (almoravide + royaume du Tekrour contre empire du Ghana ; tribus guerrières arabes + royaume deeniyaŋke (les Hel Teŋgella) + Brack du Waalo, opposés à l’alliance des toorooɓe du Fuuta, des tuubanuun du Waalo et des tribus maraboutiques  du Trarza, dans la guerre de Chaar Babbe ;  révolution toorrodo des années 1770, réplique fuutaŋke à Chaar Babbe, conclue cette fois par la victoire du parti maraboutique.

Avec les successeurs de Sawa Laamu, commence la période de décadence. Les luttes de pouvoir entre princes deeniyaŋkooɓe fragilisent le pays, et conduisent les protagonistes à des alliances avec des forces extérieures, (Jolof, émirats ou groupes tribaux maures, Gadiaga, colons français de Saint-Louis, etc.). Le « muudo Horma » est, pour une large part, la contrepartie, du soutien armé que certains groupes tribaux maures ont apporté aux derniers vainqueurs de ces luttes fratricides, sous la forme d’un tribut annuel payé sur le dos des populations.

Cette situation de mise en coupe réglée du Fuuta est à l’origine du triple objectif de Suleymaan Baal et de ses compagnons du mouvement tooroodo : mettre fin à un « muudo Horma » inique, symbole d’une soumission qui n’était pas celle du peuple mais celle de ses groupes dirigeants ; renverser la dynastie Deeniyaŋke ; établir un État dont les valeurs et les pratiques sont conformes aux canons de l’Islam, et redonner au Fuuta son prestige d’antan.

Mais l’histoire est quelquefois facétieuse, et nous donne, sur le ton de l’ironie, de merveilleuses leçons de vie. Certains des membres des groupes tribaux maures chargés du recouvrement du « muudo Horma » n’ont pas quitté le Fuuta après leur défaite. Ils s’y sont installés, et certains parmi eux continuent de s’identifier, avec fierté, par le nom, jadis honni de « Hormaŋkooɓe » (les gens de Horma). En moins d’un siècle, ils sont devenus des Halpulaar’en et des Fuutankoobe aussi dignes, respectables et respectés que n’importe quel autre, de prétendue plus vieille souche.

« Vous nous faites toute une tirade sur les fondements historiques du Fuuta, que je sache, les wolofs comme les sérères ont bien cohabité avec les fulɓe, au point que :

nit = neɗɗo ; mbaam = mbabba ; nakk = nagge ; goor = gorko ; gis (verbe) = gite ; bey =mbeewa ; fas = puccu ; jambaar = jambaaro ; etc.

Un adulte nullissime en linguistique,  comme moi, ou un gamin de dix ans sachant naviguer sur Internet aurait pu découvrir cela tout seul. Il lui aurait suffi d’interroger Google, et il aurait accédé à la réponse suivante : « Les Wolofs ont d’abord cohabité avec les Berbères (…), en compagnie des Peuls, des groupes mandingues, des Soninkés  et des Sérères ».

Je sais, votre propos était de nous montrer l’étroite parenté linguistique entre ces trois langues. Mais vous êtes mieux placé que moi pour savoir que les langues doivent autant à leur parenté qu’à leur voisinage, et que, voisine ou parente, chacune d’entre elles a généreusement emprunté à toutes les autres.

Á telle enseigne (puisque vous avez oublié de le remarquer) que dans l’expression « muudo Horma » (symbole, à juste titre, de domination et d’iniquité, pour les Fuutaŋke), aucun des termes n’appartient à la langue pulaar. L’unité de mesure (muud) comme la redevance (horma) sont incontestablement d’origine arabo-berbère.  Encore une de ce foutues et inattendues facéties de l’histoire des relations entre les peuples.

Quand à la cohabitation des Peuls et des Sérères, je vous pardonnerai difficilement de me l’avoir rappelée. Avant de prendre son nom actuel, mon village s’appelait Tunti. Selon les traditions locales, il était habité par des Sérères, dont le dernier chef portait le nom de Sappeen. Ils avaient défriché une partie des terres du Waalo, et en étaient les légitimes propriétaires (droit de la hache et du feu). Mes ancêtres Peuls les trouvèrent sur les lieux, au XIVe ou XVe siècle, et habitèrent quelque temps à leurs côtés. Puis, pour des raisons que je préfère ignorer, entrèrent en conflit avec eux. Exit les cousins Sérères, et fin de la cohabitation.

« Aujourd’hui, le pays dans lequel vous habitez, la Mauritanie, a une population dont plus 40% est d’origine esclave. D’où viennent ces esclaves? L’historien soi disant que vous êtes, s’est-il seulement posé la question?

Cette dernière partie de votre question est troublante, non par sa signification formelle, mais en ce qu’elle sous-entend. Si j’ai bien compris, qui conteste votre thèse sur l’origine du mot capaato, n’adhère pas à votre théorie de la représentation des Maures par les Fuutankoɓe, propose une interprétation de la migration des Peuls vers le worgo incompatible avec la vôtre, ne saurait être qu’un « amputé du cœur », incapable de se poser la moindre question sur l’esclavage ? Vous auriez pu choisir meilleurs critères de disqualification : historien de pacotille, par exemple, ou linguiste incompétent.

L’humain du XXIe siècle que je suis s’est-il, donc, jamais posé la question de l’origine servile d’une grande partie de la population mauritanienne (je vous laisse la responsabilité du pourcentage que vous avancez). Peut-être pas plus et mieux que certains ; peut-être pas avec autant de passion ou de virulence que d’autres, mais je me la suis posée. Et du mieux que j’ai pu, j’ai essayé de m’informer sur le sujet, et de mieux le comprendre. Non en tant qu’« historien, soi-disant », mais juste en tant que personne humaine face aux conditions faites à d’autres personnes humaines.

Pour dire toute la vérité, c’est la question de l’esclavage qui s’est posée à moi. Plus exactement, elle s’est posée sur moi…, sous la forme d’une gifle magistrale que mon père m’asséna sur la joue, parce que j’avais appelé un de ses amis et compagnon d’âge, que je savais être « maccuɗo » (esclave), par son prénom, sans le faire précéder du titre de « baaba » (père).

J’avais 12 ou 13 ans. La gifle de mon père ne m’a rien appris sur l’esclavage, mais elle m’a révélé qu’en certaines circonstances, les règles de politesse avaient la prééminence sur les statuts sociaux. C’est cinq ou six années plus tard que je fis réellement le lien entre la gifle paternelle et l’esclavage, quand, au village, je découvris, l’amère réalité du mépris, de la discrimination et de l’exclusion qui était le lot quasi-quotidien des descendants d’esclaves (dont beaucoup encore esclaves). Impliqué dans un conflit opposant jeunes maccuɓe et jeunes tooroɓɓe, je dus choisir mon camp. La suite n’est pas intéressante, c’est juste ma vie.

D’où viennent ces esclaves? Je mentirais si je prétendais ne pas comprendre le sens exact de votre question.  La piste qui conduit de l’étymologie du mot capaato aux 40% de descendants d’esclaves  et à leur origine est semée de cailloux si gros et brillants qu’un aveugle s’y retrouverait. La réponse est évidente : les esclaves et descendants d’esclaves sont issus de communautés noires ouest-africaines. Mais pour évidente qu’elle soit, je soupçonne qu’elle ne vous satisfait pas. Vous auriez préféré que je dise qu’ils sont le produit des razzias des Maures. Mais cela ne serait vrai qu’en partie. En faible partie.

Peut-être devons-nous aborder la question différemment, et nous demander d’où viennent les anciens esclaves de la société haalpulaar. J’aurais pu dire soniŋke, maure wolof, sérère, songhai ou bamana, mais, en l’occurrence,  la simple honnêteté exige de d’abord balayer devant sa porte.

Les esclaves de la société haalpulaar ont été extraits de l’immense réservoir d’humains que la multitude des peuples d’Afrique de l’ouest a été, des siècles durant[2].  Une simple énumération des patronymes des maccuɓe et des rimayɓe (esclaves inaliénables) révèle d’emblée leurs groupes ethniques d’origine, (bamana, soninké, malinké, khassonké, et même sénoufo).

Entre le milieu et la fin du XIXe siècle, le ralentissement, puis l’arrêt du trafic d’esclaves vers les Amériques redonnent à la traite négrière intra ouest-africaine et transsaharienne une nouvelle dynamique. De véritables entreprises militaro-commerciales mobilisent, à chaque « saison de récolte des esclaves  », des colonnes militaires  et des groupes solidement armés qui approvisionnent des relais et des marchés d’esclaves. Bamako, actuelle capitale du Mali, à l’époque un petit hameau, passe pour avoir été un des relais les plus actifs de ce trafic.

Au risque d’en choquer plus d’un, les troupes fuutaŋke d’El Hadj Omar (au Soudan) et celles des sofas de l’Almamy Samory Touré (en Guinée, Côte d’Ivoire, Libéria, Soudan, etc.) jouèrent un rôle central dans l’intensification de ce commerce dont les besoins en chevaux, en armes et autres matériels de guerre, ainsi que la recherches de profits, ont été les moteurs.

Les dernières grandes vagues d’esclaves furent déversées dans toutes les parties de l’ouest saharien, (dont, évidemment, le Fuuta), à la fin du XIXe siècle. Les principales aires d’activité des marchands d’esclaves (Soudan, Guinée, Côte d’Ivoire) expliquent la fréquence des patronymes à consonance bamana/mandingue parmi la population servile des sociétés soninké et haalpulaar et, probablement, celle du prénom Samory, en milieu maure.

Dans toutes nos communautés, ces vagues  rejoignirent un fonds d’esclaves plus ancien, parmi lesquels figurent, particulièrement en Adrar et plus au nord, des groupes et individus issus des vieilles populations noires de l’ouest saharien.

L’origine des esclaves dans les autres communautés est la même, grosso modo, que pour le Fuuta. L’apport des razzias et des prises de guerre, sans être négligeable, est demeuré modeste, comparé aux contingents massifs provenant des campagnes saisonnières de « récolte d’esclaves », dans les zones soudano-sahélienne et forestières.

En vous lisant, je me dis, que nos anciens, eux, au moins, savaient identifier les pratiques de leurs ennemis « maures ». Les wolofs font pareil quand ils disent « naar ». Pourquoi? voilà une question qui devrait éveiller, émoustiller  votre fibre d’historien!!! 

Evacuons d’abord la question « naar ». Pourquoi les Wolofs appellent-ils les Maures Naar ? Je n’en sais rien, et vous non plus.  Comme vous, je ne connais que ce qu’en dit l’histoire populaire, et cela me semble un matériau trop léger pour permettre une construction historique ayant des fondements solides.

(…)

Je ne peux me prononcer sur les capacités des anciens à identifier les pratiques de leurs ennemis « maures », ne sachant ni de quels anciens ni de quelles pratiques vous parlez. Mais le concept d’inimitié génétique qui sous-tend votre expression « leurs ennemis maures » est scientifiquement erroné, historiquement non fondé, moralement intolérable et politiquement pervers.

Á trop errer dans les décombres du passé et sur les terres stériles des préjugés et de l’intolérance réciproques, vous et vos frères-miroirs de l’autre bord courrez le risque de personnaliser, jusqu’à la caricature, la définition que donne Karl W. Deutsch du nationalisme : « un groupe de personnes unies  par une erreur commune sur leurs ancêtres et une aversion commune envers leurs voisins ».

Libre à vous de pratiquer le culte des ancêtres ; les cultes ne sont pas ma tasse de thé, et les mânes des anciens ne troublent pas mes nuits. Comme tous les humains, mes ancêtres sont multiples, ethniquement parlant (si l’on peut dire), et je dois beaucoup à la multitude de générations qui m’ont précédé, mes aïeux Fulɓe/Haalpulaar’en, en particulier. J’assume, d’un côté,  et je subis, de l’autre, une part significative de leur héritage. Mais comme vous abordez la question sous l’angle des sentiments, j’avoue que je ne me sens l’héritier ni de leurs sympathies, ni de leurs haines ni de leurs ennemis ou amis du passé,  à l’exception du multiséculaire et plaisant cousinage qui me lie à tous le Sérères du Siin, du Saalum et de l’univers. Paix aux âmes de leurs ancêtres !

Vous êtes plus préoccupé à scruter l’avenir, à donc « dessiner de perceptives nouvelles » pour les peuples, qu’à rendre objectif les faits du passé.

Vous ne pouvez pas me réduire au rang d’historien subalterne, et dans le même mouvement, m’accuser de trop me préoccuper de l’avenir. Mais peu importe, car il n’y a pas, pour moi, d’antinomie entre les deux attitudes.

Je ne sais pas ce qu’est vraiment l’histoire, mais je sais ce qu’assurément elle n’est pas, à mes yeux.  Ni l’empilement de plaies antédiluviennes, ni l’effacement des origines multiples. Pas une réécriture du passé mise au service des réalités du présent, encore moins un miroir de vanités identitaires, ou l’élaboration de mythes mensongers.

Si je dois choisir, l’histoire que je préfère est celle dont nous sommes les moteurs et les fétus, celle que nous écrivons par nos actes, notre sueur et nos larmes.

Celle-là sera belle et utile si nous n’enfermons pas le présent dans le passé ; si nous dénions à nos vieilles peurs le pouvoir de tracer les chemins de notre avenir. Si nous savons donner une chance à l’utopie, et des ailes à nos rêves d’égalité, de liberté et de justice vraies.

Alors oui, vous avez peut-être raison. Je vis sur une terre et en des temps où les multiples fractions du pays « se voient mais ne se touchent pas ». Je rêve d’un temps et d’un pays où toutes les parties du corps de la nation « se voient et se touchent ».

Abdoulaye Ciré BA 

 


[1]  Mes remerciements à Aamadu Umar Jah pour avoir corrigé mon erreur sur le sens de horma

(que je prenais pour un nom propre).

[2]  Dans sa pièce de théâtre « Les Derniers Jours de Lat Dior », Amadou Cissé Dia fait entrer en scène

un chœur d’esclaves « toucouleurs » (haalpulaar’en). En dépit de mes jeunes prétentions démocratiques,  j’en fus horrifié et scandalisé, à l’époque.