CRSM : Pour une redéfinition équitable du pacte fondateur de notre nation en construction

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1947
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Préambule

Les initiateurs de ce document sont des personnalités et cadres sooninko qui appartiennent à des courants politiques de la majorité comme de l’opposition, et qui partagent les mêmes points de vue, sur les degrés divers d’exclusion de leur communauté.

Préambule

Les initiateurs de ce document sont des personnalités et cadres sooninko qui appartiennent à des courants politiques de la majorité comme de l’opposition, et qui partagent les mêmes points de vue, sur les degrés divers d’exclusion de leur communauté.

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Toute autre personne, sooninké ou non, qui approuve le contenu du document peut se joindre aux initiateurs pour continuer le travail et approfondir la démarche. L’ambition ultime est de défendre les droits de l’Homme, et de favoriser la justice sociale ainsi que l’ancrage de la démocratie pour une Mauritanie prospère et unie.

Pour une redéfinition équitable du pacte fondateur de notre nation en construction

Introduction

Le Conseil Représentatif des Sooninko de Mauritanie (CRSM) se propose d’être une institution fédérant et représentant, en tant qu’autorité morale, la communauté sooninké, composante et constituante à part entière de l’identité plurielle du peuple mauritanien.

Ceci, suite au constat, devenu irréfutable, de la faillite de l’intégration du concept de citoyenneté, de l’absence d’impartialité de l’État dans la construction nationale, et de la déliquescence de l’État-Nation qui explique, par ailleurs et en partie, la sanctuarisation des individus au niveau de la communauté ou de la tribu.

La communauté sooninké, loin de tout esprit communautariste, tout en voulant préserver rigoureusement sa tradition séculaire de neutralité et de réserve dans les affaires de l’État, s’est résolue à s’adresser aux autorités responsables et en charge de notre communauté d’avenir, aux acteurs politiques et de la société civile, aux autres communautés composant la Mauritanie et à tous ses citoyens.

À la suite du Manifeste des Dix-neuf de 1966, du Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé de 1986, du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Hratine d’avril 2013, et du récent Aide-mémoire sur la problématique de la représentativité des Wolofs en Mauritanie d’avril 2014, le CRSM a souhaité apporter sa contribution pour relever le défi de l’édification commune de la Nation mauritanienne sur des bases de justice et d’équité.

Cette contribution n’a aucunement l’ambition manichéenne de faire le procès des uns pour les diaboliser, ni de se morfondre en compassion dans la victimisation des autres. L’objectif de ce document est de nous interpeller les uns les autres, en retraçant dans un premier temps le contexte historique qui a abouti à la création de l’entité mauritanienne (I).

La deuxième partie sera consacrée à la description des conséquences de l’échec prévisible de la cohabitation intercommunautaire, telle qu’elle a été mise en oeuvre (II). La finalité est de faire des recommandations et des propositions pour un sursaut patriotique de justice, de réconciliation et de paix civile dans notre pays, socle de son développement économique et social équitable, seuls gages de sa pérennité en tant que Nation moderne, libre, égalitaire et solidaire (III).

 I. Toile de fond des maux de la Mauritanie néo-indépendante

En raison des spécificités locales de la colonisation française, de la diversité identitaire des peuples arbitrairement amenés à cohabiter sous l’autorité d’un pouvoir centralisé, d’une décolonisation précipitée et insuffisamment anticipée, ainsi que du contexte géopolitique international, sous-régional, africain et arabe, l’ébauche de construction de la Nation mauritanienne a commencé dans un contexte très défavorable, pour son accomplissement serein et solide jusqu’à son terme.

La colonisation de la Mauritanie s’est faite en deux étapes.

La première, en pays noir, a été qualifiée de « marche vers l’Est », le long de l’axe de pénétration continentale que constituait le fleuve Sénégal à partir du comptoir de Saint-Louis situé au niveau de son embouchure sur la côte atlantique et s’intégrant dans la colonisation de l’Afrique de l’Ouest. La seconde, en pays maure, survenue près d’un demi-siècle plus tard, brève et superficielle, a été qualifiée de « marche vers le Nord ».

Celle-ci s’est faite, en coordination avec la puissance espagnole colonisatrice du Rio-de-Oro au nord, à partir de la base arrière que constituait la colonie du Sénégal au sud, visant à occuper le vide laissé entre les colonies d’Afrique Occidentale Française, le protectorat du Maroc, et la singularité de la colonisation d’annexion de l’Algérie, colonisation de peuplement, ayant le statut spécifique de département français.

La structuration de ce qui va donner naissance à la Mauritanie a été beaucoup plus du ressort des préoccupations du colonisateur, tiraillé par des conceptions et des contradictions internes, façonnées par des rapports de force métropolitains éloignés de la réalité mauritanienne, que le fruit d’un réel processus interne, qui résulterait de la« sédimentation » des enjeux autochtones, s’équilibrant après maturation de leur prise en compte partagée par les populations et leurs leaders.

Le point de vue colonial qui s’est imposé dans le cas de la Mauritanie était très nettement en faveur de la création d’un État pour l’ensemble maure, les populations noires des régions de la rive droite du fleuve considérées comme appartenant à l’ensemble représenté par le Sénégal, déjà sous « contrôle ».

C’est ce qui va constituer la justification de la « marche vers le Nord » et le choix de la dénomination « Mauritanie », en 1899, par le colonisateur, pour désigner ce qui va devenir notre territoire. Le rattachement de la rive droite du fleuve Sénégal au « protectorat des pays maures du bas-Sénégal », le 10 avril 1904, est la première orientation constitutive de la Mauritanie dans ses frontières actuelles, confirmée par le rattachement, le 5 juillet 1944, des 2 cercles du Hodh, jusque-là sous administration du Soudan français, à la colonie de Mauritanie.

À côté de ces considérations géographiques, il faut noter que le rapport du colonisateur vis-à-vis de ses administrés était différencié, selon qu’il s’agissait des populations maures ou des populations noires.

Le mode d’administration territoriale en pays maure était de nature indirecte passant par les émirs au service de l’administration coloniale à laquelle ils étaient plus ou moins associés, alors que l’administration des populations noires de la rive droite du fleuve Sénégal était directe, à travers des chefs de cantons nommés par le pouvoir colonial, en superposition et donc en concurrence avec la hiérarchie traditionnelle.

Cette réalité explique l’aspect moins déstructurant pour la hiérarchie traditionnelle maure d’une colonisation plus brève et favorable à lui donner un rôle dans le rapport de force politique préparant à la dévolution du pouvoir. En effet, le colonisateur va soutenir, de manière décisive, les candidats acquis à sa vision, lors des différentes élections législatives qui ont eu lieu à partir de 1946 jusqu’aux élections du conseil de gouvernement en 1957 qui vont déboucher sur l’autonomie puis l’indépendance de notre pays.

La structuration du pouvoir politique, sans organisation centralisée à l’échelle de l’ensemble du territoire, de ces hiérarchies traditionnelles de la Mauritanie précoloniale, était constituée d’Émirats septentrionaux maures représentés par le Trarza, le Brakna, le Tagant et l’Adrar, cohabitant avec des États méridionaux noirs issus des empires du Tekrour, du Ghana et du Djolof que sont les royaumes du Gidimaxa, du Fuuta Tooro, du Ngalam et du Waalo Barak, caractérisés, dans leurs rapports d’interdépendance, par une succession d’alliances et de conflits, qui se sont mis en place au-delà de l’identification au pays maure ou au pays noir.

L’administration coloniale a réussi à s’allier les notables de ces hiérarchies traditionnelles, en privilégiant ceux qui se sont le plus adaptés à la domination française pour mettre en place une oligarchie administrative notabiliaire.

La Mauritanie moderne, héritant de ses sociétés féodales précoloniales dans la continuité du colonisateur, n’a fait que reproduire cette alliance en raison essentiellement d’enjeux de pouvoir ayant poussé à poursuivre la manipulation des différents leviers de discriminations pour consolider cette oligarchie.

Ces mécanismes historiques, effectifs, de l’exercice du pouvoir, fondés sur l’alliance entre l’Administration et les notabilités traditionnelles vont ainsi être accentués dans la Mauritanie néo-indépendante en s’appuyant finalement sur la perpétuation d’une stratification sociale archaïque et inégalitaire.

Par ailleurs, le contexte des références traditionnelles qui est le nôtre fait que dans la représentation que les administrés se font du pouvoir, ils ne s’y soumettent que proportionnellement à la crainte suscitée par la force de son autorité.

Le corollaire en est, pour les régents, la tentation par la centralisation et la personnalisation du pouvoir. En effet, les tenants du pouvoir au moment de l’indépendance de notre pays ont procédé, en moins de cinq ans, à l’abandon du régime parlementaire légué par l’héritage colonial, remplacé par un système présidentialiste concentrant l’essentiel des pouvoirs dans les mains du Chef de l’État.

Le pouvoir législatif s’est très vite retrouvé subordonné au pouvoir exécutif, lui-même réduit au président de la république, puisqu’en pratique, celui-ci faisait signer aux membres du gouvernement, avant de les nommer, et aux candidats à la députation, avant leur élection, des démissions en blanc. En parallèle s’est opérée l’institutionnalisation du parti unique conçu pour être un Parti-État afin de compléter la maîtrise des différents leviers d’un pouvoir devenu absolu.

L’encadrement des populations pour favoriser l’émergence de la conscience citoyenne et démocratique et pour aplanir toutes les formes de discriminations ataviques, sociales, raciales, identitaires et de genre, préalables consubstantiels à la construction de l’État-Nation, a sombré dans l’oubli.

De surcroît, l’oligarchie administrative notabiliaire a évolué vers une oligarchie militaro-administrative et notabiliaire, suite au premier coup d’état en 1978 et pendant toute la période où l’armée a plus ou moins gouverné par un processus concerté et consensuel au sein des différents comités militaires de redressement puis de salut national, avant d’être, pretorio-administrative et notabiliaire, après la mise en place du bataillon de sécurité présidentielle, le BASEP.

Celui-ci a très rapidement concentré la force de feu d’une armée devenue prétorienne au service d’un régime autoritaire. Les consciences citoyenne et démocratique faisant défaut, la personnalisation du pouvoir s’est irrémédiablement mise en place en se fondant sur les cercles concentriques du pouvoir que sont le népotisme au centre, le tribalisme qui le couvre, et le clientélisme censé les masquer.

En effet, le régime prend alors l’apparence d’un État moderne doté d’institutions démocratiques mais sa logique de fonctionnement interne se fonde sur une monopolisation du pouvoir, à dessein, remettant en cause la notion même de l’État, en instrumentalisant la relation de proximité plus ou moins importante par rapport au chef du régime, afin de s’accaparer des richesses et ressources nationales, par l’effacement de toute distinction entre la sphère publique et la chose privée.

Cette distribution de prébendes et de patronages va avoir recours au clientélisme pour limiter les possibilités de contestation qui pourraient être provoquées par le népotisme et le tribalisme.

Le chef du « système » qui se met en place, en intégrant la corruption et l’impunité, va ainsi se constituer une base de soutien représentée par une classe d’hommes politiques et d’hommes d’affaires, dévouée, créée par lui et totalement dépendante de lui, au-delà de sa famille, de sa tribu, de son ethnie et de sa race, selon de savants dosages plus ou moins équilibrés.

Ce troisième cercle du pouvoir, véritable machine électoraliste, a le rôle essentiel d’habiller le régime du costume de la « Démocratie » et de lui donner une apparence pluri-tribale, pluri-ethnique et pluri-raciale se substituant comme ersatz au concept transcendant de Nation.

II. Conséquences sur la construction de l’État-Nation moderne

L’ensemble de ces facteurs, en antagonisme avec la construction nationale et liés aux seuls enjeux de pouvoir, vont être reproduits et systématiquement amplifiés, par les différents régimes qui vont se succéder à la tête de la Mauritanie.

Il s’agit de la mise en place d’un système qui en s’appuyant initialement sur une « exception identitaire arabe » (A), discrimination positive aux dépens d’identités pourtant beaucoup plus anciennement autochtones, va confisquer le pouvoir politique et économique, en perpétuant l’exclusion (B), atavique sécularisée des Hratine, de tous les rouages et centres de décision, étendue aux Halpuularen, Sooninko, et Wolofs, par un détournement des moyens de puissance et de coercition dévolus à l’autorité de l’État, pour aboutir, à terme, aux violences politiques et étatiques (C) qualifiées par les communautés qui en ont été victimes, de racisme d’État, de crimes contre l’humanité et même de génocide, sur la base des définitions faisant autorité au niveau des institutions internationales.

A. Exception identitaire arabe et hiérarchisation

L’exception identitaire arabe est définie comme la tentation, qui perdure dans notre pays, de favoriser le développement prééminent de l’identité arabe aux dépens des autres composantes toutes autant constitutives de la Nation mauritanienne, en mettant en oeuvre, de manière exclusive, l’officialisation de la langue arabe ainsi que l’arabisation imposée de l’enseignement.

Cette exception identitaire arabe est consacrée dans la loi fondamentale depuis la constitution du 22 mars 1959 et celle du 20 mai 1961 en institutionnalisant comme seule langue nationale l’arabe, le français étant à l’époque seule langue officielle.

La loi constitutionnelle du 4 mars 1968 apporte quelques modifications en élevant l’arabe au rang de langue officielle au même titre que la langue de l’ancien colonisateur en plus de demeurer l’unique langue nationale : le pulaar, le sooninké et le wolof n’ayant toujours pas été, ne serait-ce que, mentionnés.

Il faudra attendre la constitution du 20 juin 1991 5 pour l’institutionnalisation de l’arabe comme seule langue officielle, les autres langues des identités pourtant tout aussi mauritaniennes pouvant alors, seulement, se hisser au rang de langues nationales.

Cette reconnaissance asymétrique d’une identité spécifique parmi toutes celles élémentaires constituant l’identité plurielle de notre jeune république a été justifiée par le concept de la « repersonnalisation de l’homme mauritanien ». La « repersonnalisation de l’homme mauritanien » aurait eu toute sa légitimité si elle avait été imaginée et conçue pour concerner tous les citoyens de Mauritanie dans leur ensemble, sans exclusive.

La « repersonnalisation de l’homme mauritanien » ne pouvait se concevoir ni se mettre en oeuvre sans le préalable d’une « ré-humanisation » des esclaves, des anciens esclaves et des autres subalternes des stratifications sociales, retrouvés transversalement au sein des différentes communautés constituantes de la Mauritanie.

Cette « ré-humanisation de l’homme mauritanien », ignorée, passant par sa libération et son émancipation effective, lui aurait permis de se réapproprier toute sa dimension et toute sa dignité d’être humain à part entière.

Si la « repersonnalisation de l’homme mauritanien » avait été aussi désignée pour concerner les composantes identitaires africaines noires de Mauritanie, l’ambition politique aurait, en plus, institutionnalisé, au même titre que l’arabisation, l’officialisation et l’enseignement à l’école publique du pulaar, du sooninké et du wolof.

Aujourd’hui, ce n’est plus que la volonté politique qui fait défaut, les classes pilotes et l’institut des langues nationales ayant fait la preuve d’une mise en oeuvre simple et maîtrisée pour nous éviter les pièges d’un multilinguisme complexe.

L’exception identitaire arabe a malheureusement, dès son initiation, le paradoxe originel, en même temps qu’elle s’est justifiée du besoin de nous libérer de l’aliénation culturelle liée à la colonisation, de se réduire à un moyen d’uniformisation identitaire de la Mauritanie, au mépris de la réalité factuelle de sa diversité.

La « repersonnalisation de l’homme mauritanien » apparaît finalement, pour les mauritaniens qui ne sont pas arabes, comme une « dépersonnalisation supplémentaire » et une marginalisation. L’identité des individus ou des peuples ne se décrète que par la volonté divine qui en a fait une contingence de leur existence sur terre.

Par conséquent, nous nous devons de la prendre en considération pour chaque composante identitaire du peuple mauritanien et toutes les prendre en compte, sur un même pied d’égalité, dans la construction nationale.

Allah ne révèle-t-il pas selon le verset 13 de la sourate 49 du Saint Coran : « O, Gens, Nous vous avons créés à partir d’un homme et d’une femme et vous avons désignés en nations et en tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux… » ?

En effet, union nationale ne signifie pas unicité ni uniformisation. L’union peut se faire dans la diversité et la pluralité, sans conditionnalité ou nécessité d’un assujettissement, d’une aliénation ou d’une assimilation identitaire de l’autre.

Cette diversité culturelle ne doit pas être tacite, juste tolérée, ou hiérarchisée mais préservée, respectée et revendiquée comme une richesse, en consacrant dans la Loi une rigoureuse équidistance par rapport et de la part de toutes les institutions de la République.

La Démocratie n’exprime pas la domination de la majorité issue des urnes mais sa légitimité et son droit à gouverner et à légiférer tout en garantissant, dans le cadre d’une communauté de destin, les droits fondamentaux de tous les citoyens et de chaque citoyen en prenant en compte toutes les composantes identitaires de notre Nation en devenir, notamment celles considérées comme minoritaires.

À considérer que l’exception identitaire arabe serait relative à la langue du Coran, alors il est opportun, ici, de rappeler que personne, de nos aïeux à nos contemporains, n’a attendu après l’officialisation exclusive de la langue arabe en Mauritanie pour apprendre le Coran en langue arabe, ni dédaigné apprendre la langue arabe pour mieux comprendre le message universel du Noble Coran.

À supposer que l’exception identitaire arabe serait expliquée par l’argument d’une majorité d’arabophones dans notre pays, justifiant ainsi d’imposer à tous l’identité arabe, à travers l’officialisation, à l’exclusion de toutes les autres identités nationales, de la seule langue arabe, alors il faut rappeler que la notion de majorité identitaire est un mythe : seules existent des composantes identitaires fondatrices de l’Etat mauritanien qui ne peuvent de ce fait, en aucune manière, quelles qu’elles soient, être marginalisées.

Tout en prenant en compte la nécessité de ne pas verser dans le particularisme des identités constitutives de la Mauritanie au détriment du partage d’une identité commune, la seule façon de construire une identité supra-communautaire civique de la Nation mauritanienne est de reconnaître l’identité élémentaire de chacune de ses composantes communautaires.

Au contraire, le repli identitaire entrainant une altérité identitaire, qui se définit dans la confrontation et non dans l’enrichissement mutuel, est généré par la hiérarchisation identitaire, liée à la reconnaissance asymétrique des identités communautaires fondatrices de la Mauritanie.

En effet, les composantes identitaires considérées comme minoritaires en Mauritanie n’en sont pas moins des peuples fondateurs de la Mauritanie dans le fait d’histoire mais aussi dans le combat politique ayant abouti à l’indépendance.

Historiquement, ces peuples depuis la nuit des temps, ont participé au peuplement de ce territoire, certains plus anciennement autochtones que d’autres, mais tous bien avant la colonisation française et son corollaire, l’indépendance de la République Islamique de Mauritanie. Pour ce qui est des sooninko, leur peuplement a été non seulement très étendu sur ce territoire jusqu’aux confins de cités comme Koumbi Saleh, Oualata, Tichitt, Chinguetti, Atar mais en plus il est beaucoup plus vieux de près d’un millénaire par rapport au dernier peuplement, celui des Beni Hassan.

Le Président Moctar Ould Daddah, personnalité historique de l’indépendance de notre pays, par sa vision et son rôle dans la création de l’Etat mauritanien, n’en a pas eu pour autant l’exclusivité en tant que père fondateur. Il l’a reconnu lui-même, très humblement, en précisant dans ses mémoires qu’il avait été amené à « diriger et coordonner les actions tendant à créer l’État-Nation mauritanien ».

À l’instar d’autres personnalités arabo-berbères, notamment Ahmedou Ould Horma Ould Babana, Souleymane Ould Cheikh Sidiya et Mohamed Ould Cheikh, des personnalités politiques représentatives de notre pluralisme identitaire, comme Souleymane Diop, Ndiawar Sarr, Ahmadou Mamadou BA, Sidi El Moktar N’Diaye, Ba Mamoudou Samba Boly, Thiécoura Dembélé, Samba GandégaGA, Diéri Sidibé, Ba Amadou Diadié Samba Diom, Youssouf KOÏTA, Yahya KANE, Sidi Mohamed DIAGANA, Cheikh Saad Bouh Kane et Gaye Silly Soumaré pour ne citer que ceux-là, ont résolument combattu pour notre souveraineté nationale.

Ils ont activement participé à la construction de la personnalité politique de notre pays depuis les premières élections législatives françaises ouvertes aux assemblées territoriales d’outre-mer en 1946 jusqu’au referendum pour l’autonomie puis aux négociations avec la métropole pour l’indépendance.

Ces personnalités diverses ont ainsi été acteurs au premier plan des recompositions multiples de la scène politique, notamment au fameux Congrès d’Aleg en mai 1958, où les congressistes originaires de la vallée du fleuve ont su faire l’importante concession, d’un« moratoire » sur l’institutionnalisation du partage du pouvoir ainsi que sur sa structuration dans un cadre fédéral, qu’ils exigeaient pourtant comme un principe de précaution.

Ils ont privilégié, grâce à un sens élevé du patriotisme, l’union sacrée face aux différents périls extérieurs menaçant l’existence de l’entité mauritanienne. Ces dangers réels étaient notamment représentés par les prétentions territoriales du « grand Maroc » jusqu’au fleuve Sénégal, par le projet, cher au colonisateur, de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes, potentiellement déstabilisant pour la révolution algérienne, et, par le projet d’organisation fédérale des territoires de l’Afrique Occidentale Française.

Ces projets d’assemblages territoriaux allaient constituer de grands ensembles dans lesquels nous nous serions certainement dissous s’ils nous incluaient. Les créations et recompositions des différents mouvements et partis politiques au niveau de la scène mauritanienne ont ainsi naturellement vu la naissance de courants nationalistes arabes et noirs africains.

Ces derniers, il est important ici de le préciser, sont nés en réaction aux structurations des nationalismes arabes qui les ont précédés chronologiquement, eux-mêmes pouvant être considérés comme légitimes sur certains aspects, en réaction à l’omniprésence de la personnalité administrative, politique et culturelle du colonisateur, ou, a contrario, comme extrémistes et incongrus par rapport aux autres composantes identitaires non arabes du peuple mauritanien à qui ils dénient des revendications tout aussi légitimes que les leurs.

Le passage de relais entre la colonisation et la Mauritanie néo-indépendante nous a fait transiter d’une situation de juxtaposition de nos communautés, plus ou moins équilibrée dans leurs rapports et où les luttes de pouvoir étaient des processus intra-communautaires, à une configuration où le pouvoir centralisé par la création de l’entité étatique, a suscité une compétition inter-communautaire visant son contrôle et ayant provoqué une subordination et une hiérarchisation identitaire.

B. Exclusions, en tâche d’huile, devenues ubiquitaires

L’évolution rapide vers la concentration du pouvoir et sa personnalisation, en déséquilibrant les institutions démocratiques et en limitant les possibilités de contestation, a favorisé l’affirmation d’un ethno-nationalisme latent à travers l’exception identitaire arabe qui a alors été perçu comme une première forme de marginalisation des communautés non arabophones. L’exclusion communautaire ne s’est pas arrêtée aux conséquences directes de l’exception identitaire arabe que sont les exclusions de l’enseignement et de l’appareil judiciaire faisant de l’École et de la Justice des facteurs supplémentaires de division alors qu’ils auraient dû être des liens forts de notre cohésion sociale.

Certes, les difficultés de cohésion nationale ne peuvent être réduites à la confrontation ethnique, mais l’instrumentalisation des références identitaires occupe une place importante dans la genèse des autres facteurs de désunion de la Nation mauritanienne que sont les exclusions sociales, politiques et économiques ainsi que dans les choix des stratégies géopolitiques d’intégration sous-régionale en Afrique du Nord en tant que pays fondateur de l’Union du Maghreb Arabe en 1989 (UMA) aux dépens de l’intégration sous-régionale en Afrique de l’Ouest avec la décision unilatérale de notre pays de se retirer de la Communauté Économique de Développement des États de l’Afrique de l’Ouest en 1999 (CEDEAO) alors que la Mauritanie en était membre fondateur depuis 1975, bien avant le projet de création de l’UMA.

L’exclusion a fini par se révéler n’être qu’un outil servant des enjeux de pouvoir et justifiant sa systématisation à tous les niveaux. La première et la plus importante de ces exclusions est l’exclusion sociale de naissance qui écarte des segments entiers du peuple mauritanien de tous les domaines et rouages de la vie publique, en retardant la mise en place d’un arsenal juridique pour la lutte contre les pratiques esclavagistes et ses séquelles mais surtout en le rendant non effectif. Il ne s’agit pas que d’un manque de volonté politique.

Il faut se résoudre à reconnaître qu’il s’agit en réalité d’une stratégie économique et politique active consistant en une volonté de ralentir l’émancipation réelle des catégories sociales subalternes en raison d’une angoisse existentielle de partager le pouvoir. Ces exclusions ont donc un aspect social, de manière générale pour toutes les composantes de notre Peuple, mais aussi, en particulier, un aspect socio-identitaire pour les Hratine, les Haalpularen, les Sooninko et les Wolofs et ont concerné, à grande échelle, les appareils politique, militaire et économique.

Ces dernières sont matérialisées par une sous-représentativité au niveau du gouvernement, de l’administration centrale et territoriale, ainsi que de la diplomatie, par un nombre réduit dans les forces de sécurité et de défense en raison des antécédents d’épuration ethnique et de purges au sein de l’armée, du barrage de sélection au recrutement et des goulots d’étranglement à la promotion, et par une portion congrue dans la répartition des richesses nationales liée à une politique sectaire de privatisation des entreprises publiques, de création de banques et de sociétés d’assurance, d’attribution de licence de pêche…

A titre illustratif de l’exclusion particulière de la communauté sooninké, pourtant dans le cadre de la règle non formalisée des quotas ethniques, des systèmes culturel, économique, diplomatique, militaire, judiciaire et politique, voici quelques données on ne peut plus irréfutables.

Au moment où la population du pays augmente, que l’économie se diversifie et se développe, que les structures administratives s’accroissent, que les besoins en cadres se font sentir et que la Mauritanie diversifie ses relations de tous genres avec le monde entier, la quote-part revenant aux Sooninko décroît de jour en jour pour atteindre le quota zéro dans bien des domaines.

Dans la Mauritanie néo-indépendante où la valeur de l’homme était encore un critère important d’accès à la promotion, les Sooninko ont occupé bon nombre de postes : ils ont été Président de l’Assemblée Nationale, Ministres, secrétaires généraux ou Directeurs de cabinet, Commandants de cercle ou Wali, Préfets, Magistrats, Juges, Ambassadeurs, Consuls, Officiers supérieurs dans l’armée, la gendarmerie, la garde ou la douane.

Ils ont été Directeurs de banque, Directeurs Généraux de Sociétés d’État, grands commerçants ou hommes d’affaires, pour ne citer que ceux-là. Depuis l’avènement des régimes militaires, et particulièrement depuis le milieu des années quatre-vingts, notre représentativité au sein des structures étatiques s’est réduite comme une peau de chagrin.

Au niveau du gouvernement, nous avons été jusqu’à n’être représentés que par un Secrétaire d’État chargé de l’Environnement et le comble fut l’absence de représentation sooninké au niveau du Haut Conseil d’État (HCE), pour la première fois depuis que notre pays a connu des régimes militaires.

Notre quota s’est retrouvé limité à un ministre, voire deux, un Secrétaire Général, voire pas de Secrétaire Général, un ambassadeur, voire pas d’ambassadeur et un consul, voire zéro consul pour ce qui est des hautes fonctions de l’État.

Aujourd’hui, pour notre représentativité dans les autres fonctions nous pouvons compter un chargé de mission à la Présidence de la République, un attaché à la primature, deux présidents de conseil d’administration et un directeur général d’établissement public.

Au niveau des forces armées et de sécurité nous déplorons zéro général et zéro colonel ; notre représentativité dans l’armée nationale, se limite à six lieutenants-colonels, un commandant, un capitaine, un lieutenant et un sous-lieutenant ; au niveau de la marine nationale, il n’y a qu’un lieutenant-colonel ; la gendarmerie nationale et la garde nationale se limitant elles aussi, chacune, à un capitaine ; la police nationale comportant un directeur, un commissaire et un inspecteur.

Du point de vue de l’administration territoriale, nous pouvons compter zéro Wali, un wali mouçaïd, un hakem, trois hakems mouçaïds et zéro chef d’arrondissement. Le département de la Justice est édifiant quant à notre exclusion totale dans ce domaine, ô combien fondamental puisqu’il y a zéro magistrat, zéro juge et zéro greffier.

Avouons que le constat n’est pas flatteur ! La question qui se pose et qui est d’actualité est celle de savoir jusqu’à quand cette situation va perdurer. Force est de constater que cet état de fait, cette situation d’exclusion, n’est pas spécifique aux seuls Sooninko et c’est pourquoi nous inscrivons notre action dans une action globale de lutte pour l’avènement d’une Mauritanie juste, unie et fraternelle où prévaudront la valeur intrinsèque de l’homme, son dévouement à la patrie ainsi que son attachement à l’unité nationale et à la cohésion sociale.

Le spectre des stratégies de ces exclusions vont de l’exclusion du jeu politique et de la politique de développement et d’aménagement territorial par un découpage administratif et communal défavorable, ne prenant pas en compte positivement les dynamismes démographiques, jusqu’au déni de la nationalité mauritanienne par l’exclusion de la citoyenneté au niveau du registre de l’État Civil.

Dans le cas de la communauté sooninké, citons l’anomalie flagrante et injuste de la wilaya du Guidimakha en terme de représentativité parlementaire directement liée au découpage territorial puisqu’elle ne compte que deux moughataa et trois arrondissements malgré sa très forte densité de population alors que deux nouvelles Moughataa (la Moughataa de Chami relevant de la Wilaya de Dakhlet Nouadhibou et la Moughataa de Dhar relevant de la Wilaya du Hodh El Charghi et dont le chef lieu de ladite Moughataa est Nbeiket Lahouach) viennent d’être créées inopinément dans des zones de très faible densité de population.

Pour ce qui est de l’enrôlement dans le registre national des populations et des titres sécurisés, comment expliquer, autrement que par la discrimination organisée à dessein, l’affront d’exiger de mauritaniens émigrés des documents autres que ceux exigés aux mauritaniens établis sur le territoire national avec toutes les conséquences que cela entraîne pour la diaspora sooninké de France notamment, qui comporte un nombre important d’immigrés, et qui concernant la deuxième génération, peut bénéficier de la nationalité française, alors qu’ils sont toujours matrimonialement, socialement, culturellement et économiquement attachés de manière très forte à la Mauritanie.

Toujours à propos de l’enrôlement au niveau de l’État Civil, la discrimination ne réside pas tant dans les documents à fournir, pour prétendre être éligible, sauf en ce qui concerne les mauritaniens émigrés comme nous venons de le souligner, mais dans la composition des commissions dont les membres sont quasi exclusivement issus de la communauté arabo-berbère et qui font montre d’un excès de zèle grotesque faisant subir de façon discriminatoire aux citoyens noirs des interrogatoires menés dans des conditions abusives.

Un nombre important de ces citoyens noirs se sont ainsi retrouvés apatrides pour avoir refusé ou pour ne pas avoir été capables de répondre à des questions aussi saugrenues que méprisantes et de surcroît illégales car non prévues par la loi, pesant finalement plus dans l’établissement de leur « mauritanité », que la production des documents administratifs et juridiques d’état civil que le législateur a prévue. Par ailleurs, du point de vue foncier, la réforme de 1983 aurait pu être une étape charnière et une clé pour nous permettre à la fois de régler le problème de l’autosuffisance alimentaire, ou à la rigueur, celui de la sécurité alimentaire ainsi que de rendre justice à tous ceux qui depuis des siècles, Hratine, esclaves et descendants d’esclaves chez les négro-mauritaniens, ont été ignoblement exploités en travaillant, privés de leur liberté, les terres de cultures de la vallée du fleuve pour nourrir l’ensemble des mauritaniens.

La problématique foncière des terres inondables du sud, valorisées par les travaux de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS), permettant la culture irriguée, est perçue comme liée à la problématique de la cohabitation communautaire dans notre pays puisque la réforme abolit la tenure traditionnelle des terres, sans tenir compte de droits ancestraux des populations négro-mauritaniennes sur des terres qu’elles ont exploitées depuis plus d’un millénaire.

Les populations négro-mauritaniennes n’ont pas bénéficié d’indemnisations financières qui leur auraient permis, dans le cadre du droit de préemption, de continuer l’exploitation agricole des terres, qu’elles mettaient directement en valeur, en disposant des moyens leur faisant défaut pour financer la modernisation des techniques d’agricultures et résister à la conjonction de la sécheresse et des crises économiques successives.

La lutte légitime contre les aspects féodaux de la tenure traditionnelle des terres de cultures excluant les Hratine et les descendants d’esclaves chez les négro-mauritaniens n’aurait pas dû remettre en cause la propriété collective de ces terres liée à l’appartenance aux différents lignages villageois et régulant leur exploitation. En effet, l’agriculture familiale ou villageoise n’est pas synonyme d’archaïsme.

Elle est reconnue par les experts comme étant le mode d’exploitation le mieux adapté aux conditions de la vallée contrairement aux grands périmètres de l’agro-business qui aujourd’hui sont confiés, à notre grand désarroi, à des fonds étrangers ou nationaux incompétents. Cette mise en oeuvre pratique effective de la réforme foncière a renforcé le sentiment d’injustice subi par les communautés négro-mauritaniennes, spoliées de leurs terres et systématiquement exclues de l’accès aux différents crédits bancaires et moyens visant la promotion de l’agriculture.

Elle confirme l’attitude asymétrique des pouvoirs publics par rapport à la gestion des différentes communautés autochtones fondatrices et des ressources de notre pays, puisque deux ans auparavant, la loi d’abolition de l’esclavage prévoyait paradoxalement de dédommager les anciens maîtres d’esclaves. Aujourd’hui, nous ne nous sommes pas rapprochés de l’objectif de sécurité alimentaire qui dépend de plus en plus des importations financées en partie par la solidarité internationale ; l’agro-business est un échec et les Hratine et anciens esclaves chez les négro-mauritaniens n’ont toujours pas accès à la propriété foncière.

Nos régents n’ont pas su saisir cette opportunité historique que pouvait être une réforme foncière bien pensée, bien intentionnée et bien conduite et qui s’est finalement révélée être un facteur de désunion supplémentaire considéré a posteriori et factuellement comme précurseur de ce qui allait se dérouler tragiquement en Mauritanie, dans la décennie qui a suivi, en terme de violations de droits humains, de crimes contre l’humanité et de génocide.

C. Répression et violence politiques, violations des droits humains et crimes d’État Les communautés négro-mauritaniennes ont réagi en contestant chaque fois qu’elles se sont senties menacées par des décisions qui les marginalisaient.

Ces protestations légitimes, car relevant des droits fondamentaux, non violentes, contenues, visant à interpeller les régents du pouvoir, ont systématiquement été réprimées, jusqu’à porter atteinte aux droits de l’homme et constituer en elles-mêmes, une cristallisation majorée des marginalisations décriées, précipitant le pays dans le cercle vicieux de la violence.

Après l’embastillement des leaders négro-mauritaniens, une première fois suite à la publication du Manifeste des Dix-neuf, en 1966, à Nbeïka où les conditions de détention étaient exécrables, puis une seconde fois lors de la publication du Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé, en 1986, à Oualata où se sont produites des violations des droits humains ayant entraîné la mort de certains détenus, les germes de la discorde nationale et de la violence sont allés croissant.

Le 22 octobre 1987 un coup d’état militaire à caractère ethnique noir a été déjoué. Les inculpés n’eurent droit à l’assistance d’un avocat pour leur défense que le jour d’ouverture de leur procès, qui a débuté en moins d’un mois, le 18 novembre, et qui a rendu un verdict en quinze jours, le 3 décembre, condamnant à la peine capitale trois officiers halpulaaren, exécutés au bout de trois jours, le 6 décembre, sans qu’ils aient eu le droit d’interjeter en appel.

L’Histoire retiendra que le même responsable au pouvoir a été paradoxalement plus clément avec les meneurs du putsch raté du 8 juin 2003 qui pourtant a causé la mort de nombreux citoyens dont de le chef d’état-major de l’armée nationale, le colonel Mohamed Lemine Ould NDiyane. Ils ont, grâce à Dieu, bénéficié des droits de la défense, n’ont pas été condamnés à la peine capitale puis ont été amnistiés, alors qu’il s’agissait là aussi d’un putsch à caractère discriminatoire ethnique, maure, sans aucune participation négro-mauritanienne, mais, cette fois doublé et aggravé d’un aspect tribal. En 1989, notre pays a connu une violente épreuve de force avec le Sénégal.

Des heurts entre éleveurs et agriculteurs noirs récurrents depuis des siècles, de part et d’autre de la frontière que constitue le fleuve, ont fait des morts le 9 avril. Ils ont été prolongés par des affrontements meurtriers entre mauritaniens et sénégalais, à partir du 23 avril, quand les commerces maures ont été pillés sur le territoire sénégalais, faisant de nombreuses victimes.

Le 25 avril, des Sénégalais ont connu le même sort en Mauritanie. Ces incidents, à l’origine de tueries de masse dans les deux pays, et qui au tout début ne concernaient aucunement l’antagonisme identitaire entre maures et noirs (peuls et sooninko dans le cas du facteur déclenchant), vont donc glisser vers un affrontement entre maures et sénégalais de part et d’autre. En Mauritanie, les conséquences de cet affrontement, très mal contenu par les autorités des deux pays, vont dégénérer vers une persécution en pays noir de la rive mauritanienne du fleuve.

Plusieurs dizaines de milliers de négro-mauritaniens vont être déportées en masse vers le Sénégal et le Mali ; des villages entiers vont être détruits ; les importantes ressources vitales que constituent les terres de culture et le bétail vont être confisquées. L’administration territoriale et les forces armées et de sécurité ont laissé des populations innocentes se faire terroriser.

Elles ont en outre, empêché toute tentative de résistance à l’oppression et à l’arbitraire. Les populations des régions du sud, riveraines du fleuve, se sont 12 retrouvées dans une situation d’état de siège, illustrée par le signalement d’un nombre important de disparus et la découverte de charniers et de nombreuses fosses communes, dont celles de Sorimalé et Wothi, le Guidimakha n’étant pas exempt avec les charniers de Wéindougol et de takhadé.

Dans l’armée, des arrestations de militaires négro-mauritaniens sont opérées à partir du milieu de l’année 1990, suivies de déportations et de concentrations dans les camps d‘Inal, Azlat et Jreïda où ils ont subi des violations de droits humains et des tueries en masse avec l’épilogue de la nuit du 27 au 28 novembre 1990 où, comme pour célébrer macabrement la trentième année de notre accession à l’indépendance, vingt-huit militaires négro-mauritaniens ont été lâchement pendus à Inal par leurs frères d’armes.

Par la suite une loi d’amnistie a été promulguée en 1993 pour empêcher tout recours au droit à la justice et protéger les auteurs, révélant ainsi l’implication et la responsabilité des plus hautes autorités de l’État. C’est ainsi que l’ethnicisation de la compétition politique, précédant l’accession à l’indépendance, a été renforcée par l’instrumentalisation des références identitaires et institutionnalisée par l’exception identitaire arabe.

Cette ethnicisation des enjeux de pouvoir, qui était donc initialement restreinte à l’élite politique, va ensuite investir le champ des forces armées et de sécurité, avant de concerner, tragiquement à partir de 1989, l’ensemble des populations mauritaniennes qui vont être opposées selon une dichotomie simpliste, « nationaux » arabo-berbères contre« étrangers » négro-mauritaniens, assimilés à des sénégalais, dont il faut épurer la Mauritanie.

III. Nécessaire refondation équitable de la Mauritanie pour sa durabilité

L’objectif général du CRSM est de concourir à une redéfinition équitable du pacte fondateur de notre nation en construction en adoptant une démarche écartant toute instrumentalisation des difficultés, accumulées jusque-là dans la construction nationale, qui alimentent la surenchère des ethno-nationalismes extrémistes.

En pratique, il faut envisager une consultation de l’ensemble des populations sur toute l’étendue du territoire, pour instaurer un dialogue élargi, social, intercommunautaire et politique, avec une concertation entre les leaders d’opinion religieuse, de la société civile, de la politique, et des corps constitués, pour initier un débat sur les questions qui constituent un enjeu dans la construction d’un véritable consensus afin de redéfinir de manière équitable un nouveau pacte unificateur de notre Nation.

Cette démarche globale, visant à identifier, ensemble, dans la prise en compte de l’Autre, les fondements incontournables, pour l’égalité sociale et citoyenne dans une Mauritanie juste ayant comme socle la liberté de naissance, la dignité de l’Homme, les droits fondamentaux de la personne humaine et la primauté du Droit, pour la consolidation de l’unification de notre Nation dans le respect de sa diversité, pour l’adoption d’un modèle et d’un projet commun de société, pour le renforcement de notre cohésion sociale et de la paix civile, pourrait être dénommée « les États Généraux de la refondation en Mauritanie ».

Il s’agit de la mise en place d’un cadre représentatif de toutes les sensibilités de notre pays nécessitant des modalités qui vont garantir son exhaustivité, sa sincérité et la légitimité des décisions qui seront prises ainsi que des propositions de solutions et des recommandations qui seront faites.

Il faut donc dans un premier temps : – Choisir un cadre pour mener aux États Généraux de la refondation en Mauritanie – Identifier et mobiliser les parties représentatives pour y participer – Adopter des règles pour gérer les tensions inhérentes à la lourde et difficile tache, historique, de trouver un accord sur les enjeux qui feront l’objet des débats.

Dans un second temps, il faudra établir et définir la liste des thèmes qui pourront être abordés ainsi que les points qui seront débattus. Les propositions et les recommandations du CRSM, regroupées en 5 thématiques, sont les suivantes :

1. Propositions pouvant constituer la base d’un Pacte pour les Droits Fondamentaux des Communautés autochtones fondatrices de l’Etat moderne de Mauritanie aux principes desquels le Peuple mauritanien proclamerait son attachement comme il l’a fait dans le préambule de la Constitution pour la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et pour la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 28 juin 1981.

• Les communautés autochtones considérées de fait comme fondatrices de l’État mauritanien sont, par ordre alphabétique, les Bambaras, les Bidhane, les Haalpulaaren, les Hratine, les Sooninko et les Wolofs.

• Toutes ces communautés fondatrices de l’État mauritanien sont libres et égales en droit, en valeur et en dignité. Elles ont droit à la Paix et à la sécurité.

• Ces communautés ont le droit de ne faire l’objet d’aucune forme de discrimination et rien ne peut justifier la domination d’une communauté par une autre.

• Toutes ces communautés ont un droit imprescriptible et inaliénable à une autodétermination de leur identité.

• Elles ont le droit de ne subir aucune forme d’assimilation ou « d’intégration forcée » ou de destruction de leur culture.

• Elles ont droit à la reconnaissance de la dignité inhérente à toute communauté ainsi qu’à la reconnaissance de leur contribution propre et spécifique dans la richesse que constitue, pour la Nation mauritanienne, la diversité de ses communautés fondatrices.

• Elles ont le droit à comprendre et à être comprises dans leur langue en ce qui concerne notamment les procédures administratives et juridiques en Mauritanie.

• Ces communautés autochtones ont le droit de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de la Mauritanie.

• Toutes ces communautés de citoyens mauritaniens ont droit à une juste répartition des ressources nationales et à un égal accès à la santé, à l’éducation, à la formation, à l’emploi, à l’information, aux moyens d’information, à la promotion de leur langue de leur culture et de leur histoire.

• Elles ont droit à ce que l’enseignement et les moyens d’information reflètent fidèlement leurs traditions, leur histoire, leurs aspirations.

• Elles ont le droit à l’accès à toutes les formes d’enseignement public, sans discrimination aucune et à un enseignement de base, pour les enfants, lors de l’acquisition des premières connaissances, dispensé dans leur langue maternelle, d’une manière adaptée. • Elles ont le droit d’établir leurs propres média dans leur propre langue et d’accéder à toutes les formes de média sans discrimination aucune.

• Elles ont le droit d’entretenir et de développer, au-delà des frontières de la Mauritanie, des relations et des liens de coopération avec leurs propres communautés ou d’autres, notamment des activités ayant des buts spirituels, culturels, économiques et sociaux.

• Elles ont le droit d’être activement associées à l’élaboration et à la définition des programmes économiques et sociaux en particulier lorsqu’elles peuvent être amenées à les administrer au niveau communal, départemental et régional dans le cadre de la décentralisation territoriale.

• Elles ont le droit d’être consultées et d’être activement associées à toute réforme foncière nécessaire, notamment dans la définition et l’établissement des priorités et des stratégies, pour la mise en valeur et l’exploitation des terres qu’elles occupent et utilisent traditionnellement.

Il s’agit d’une garantie d’impartialité et de transparence, prenant en compte des traditions, des coutumes et des régimes fonciers spécifiques, tout en appliquant, dans le cadre de la charia, le principe de préemption qui fait que la terre appartient à celui qui la met directement en valeur.

Une démarche participative et inclusive permettra de ne pas occulter la prise en compte de mesures adéquates visant à assurer des indemnisations et des réparations justes et équitables ainsi que de prévenir d’éventuels effets collatéraux, qui pourraient être néfastes sur les plans environnementaux, économiques, sociaux et culturels.

• Elles ont le droit d’avoir accès à des procédures justes et équitables pour le règlement des conflits et différents avec toutes parties et d’obtenir un traitement et une décision rapide en la matière ainsi qu’à des voies de recours efficaces pour toute violation de leurs droits.

• Elles ont le droit de déterminer les responsabilités des individus envers leur communauté.

2. Propositions de recommandations et de mesures de rupture quant à la question hratine, aux problèmes des descendants d’esclaves chez les négro-mauritaniens, ainsi qu’aux discriminations transcommunautaires à l’encontre des autres catégories sociales considérées comme subalternes telles que les castes d’artisans (forgerons, bûcherons et cordonniers), et celles des laudateurs (griots de différents types, à voix ou à instruments de musique).

• Les pouvoirs publics doivent, de manière non équivoque, opérer une rupture avec l’attitude de déni qui prévaut concernant les pratiques esclavagistes et les discriminations sociales, en brisant le silence, par la reconnaissance de la réalité de ces ignominies qui perdurent.

• Faire appliquer de manière effective la législation en vigueur pour l’éradication des pratiques esclavagistes en mettant en oeuvre la réception systématique et inconditionnelle de toutes plaintes avec mise en route immédiate, sans tergiversations, de poursuites judiciaires qui doivent être menées sans discontinuité jusqu’à la décision du procureur de renvoyer ou non l’affaire vers le juge d’instruction.

• Compléter cette législation par la possibilité pour les associations de se constituer partie civile en tant que victimes morales ainsi que de la capacité d’ester en justice.

• Sanctionner par la loi le négationnisme envers le crime contre l’humanité que constituent les pratiques esclavagistes.

• Mener une enquête indépendante de grande envergure, sur toute l’étendue du territoire, impliquant les associations représentant et défendant les victimes de pratiques esclavagistes, pour une évaluation quantitative de celles-ci ainsi que de la nature des pratiques connexes.

• Former les autorités policières et judiciaires afin qu’elles jouent pleinement leur rôle de premier plan dans la lutte contre le fléau de la perpétuation de l’esclavage et des discriminations sociales héritées d’une stratification archaïque.

• Sensibiliser les autorités religieuses et traditionnelles afin d’encourager l’évolution des comportements pour l’éradication complète des pratiques esclavagistes.

• Informer les victimes pour qu’elles prennent connaissance de leurs droits afin de les faire valoir.

• Mobiliser l’opinion publique pour une appropriation de l’éradication des pratiques esclavagistes comme une cause nationale prioritaire.

• Obtenir des coopérations internationale et bilatérale de conditionner leurs aides au développement à l’obtention de résultats concrets et mesurables dans la lutte contre les pratiques esclavagistes, et non juste à la prise de mesures qui au final ne sont pas effectives.

• Élaborer une stratégie nationale de lutte pour l’éradication des pratiques esclavagistes avec un programme et un plan d’action.

• Protéger, indemniser et accompagner dans leur réhabilitation et leur réinsertion les victimes de pratiques esclavagistes, dans une ambition de réparation intégrale et équitable.

• Institutionnaliser un devoir de mémoire en ce qui concerne l’esclavage pour rappeler le souvenir d’une ignominie qui dans une optique constructive doit occuper la place qui est la sienne dans les manuels scolaires et la conscience collective de la Nation.

• Créer une institution indépendante qui ne soit pas sur le modèle actuel des agences publiques, impliquant la société civile de manière paritaire avec des élus communaux et parlementaires ainsi que des représentants de l’autorité publique, en charge de l’égalité des chances et de la lutte contre toutes les formes de discriminations, en particulier les victimes des pratiques esclavagistes, les victimes d’exclusion par discrimination liée à une quelconque position de subalterne social, ainsi que les victimes de discriminations identitaire, tribale, ethnique et raciale.

• Fournir à cette institution indépendante en charge de l’égalité des chances et de la lutte contre toutes les formes de discriminations les ressources humaines et matérielles indispensable à son action dans l’éradication des pratiques esclavagistes et connexes.

• Publication d’un rapport annuel de contrôle et d’évaluation des progrès réalisés en matière d’éradication des pratiques esclavagistes.

• Promouvoir une discrimination positive pour les victimes des pratiques esclavagistes et de la discrimination de naissance en plus de l’exigence de l’égalité des chances.

• Simplifier l’enrôlement au niveau du fichier central de l’agence nationale de la population et des titres sécurisés pour tous les mauritaniens, en particulier pour la communauté hratine, qui semble être celle qui a le taux d’enrôlement le moins important alors qu’elle représente la majorité de l’ensemble de la population mauritanienne.

• Mettre en place des zones d’éducation prioritaire dans les adwabas, quartiers défavorisés et bidonvilles avec des infrastructures et des moyens budgétaires appropriés, un encadrement et un suivi pédagogique adaptés, une évaluation et une motivation des enseignants, des élèves ainsi que de leurs parents, régulièrement suivis, en favorisant l’accès aux bourses, la création d’internats et de cantines scolaires…

• Protéger les victimes de pratiques esclavagistes, en particulier les enfants, contre l’exploitation économique et tout travail susceptible d’être dangereux, d’entraver leur éducation ou de nuire à leur santé, leur état ou leur développement physique, mental, spirituel, moral, social en tenant compte de leur vulnérabilité particulière et de l’importance de l’éducation pour leur autonomisation.

3. Propositions de recommandations et de mesures de rupture quant à la question identitaire

• Reconnaître de manière institutionnalisée et paritaire les différentes composantes identitaires de l’identité plurielle de la Mauritanie en inscrivant dans la constitution l’identité pulaar, sooninké et wolof comme identités à part entière au même titre que les identités arabe et africaine de notre pays.

• Réformer la constitution pour y inscrire le pulaar, le sooninké et le wolof comme langues officielles au même titre que l’arabe.

• Réformer l’enseignement qui doit être dé-dogmatisé et dépolitisé pour faire de l’École mauritanienne une école intégrée dans notre milieu socio-économique et culturel préparant le Citoyen de demain qui se construit et s’approprie une identité civique supra-nationale, afin de réduire les échecs et les déperditions scolaires, en redynamisant les modalités pédagogiques du point de vue des stratégies et des modèles.

• Instituer et développer l’enseignement basé sur les langues maternelles dont le rôle d’atout est reconnu dans toute leur valeur pédagogique, puisque déjà acquises au moment de l’admission à l’école primaire, pour l’intégration des premières connaissances scolaires.

• Exploiter le rôle des langues maternelles dans les phases d’adaptation et de compréhension de l’apprentissage nécessaire de l’arabe et du français pour faciliter le processus de communication en classe et pour la construction des connaissances par les élèves, puisqu’il est aujourd’hui irréfutablement admis et établi scientifiquement que la scolarisation immédiate des enfants par immersion, c’est-à-dire dans une langue qu’ils maitrisent insuffisamment ou pas du tout, compromet fortement leur réussite scolaire.

• Valoriser la sauvegarde du patrimoine et de la diversité linguistique en réhabilitant l’Institut des Langues Nationales, pour promouvoir les échanges et le dialogue inter-communautaire, dans le cadre du droit au savoir et à l’éducation ainsi que du droit à une identité propre inaliénable.

• Simplifier l’enrôlement au niveau du fichier central de l’agence nationale de la population et des titres sécurisés de tous les mauritaniens et en particulier des négro-mauritaniens en arrêtant le harcèlement illégal et humiliant visant à les dissuader de se faire enregistrer et en recomposant totalement les commissions sur toute l’étendue du territoire national pour que, dans chaque commission, chaque communauté soit représentée.

• Accorder le droit à la double nationalité, non conditionné par la seule volonté du Président de la République, pour échapper à toute ségrégation possible, aux mauritaniens ayant longtemps séjourné ou étant nés à l’étranger, en particulier aux enfants d’immigrés.

• Arrêter les manoeuvres de dissuasion et d’exclusion des négro-mauritaniens des écoles militaires de Nouakchott (lycée et École Supérieure Polytechnique) et de l’École Militaire Interarmes d’Atar (EMIA) ainsi que de l’École Nationale d’Administration, de Journalisme et de Magistrature (ENAJM).

• Réaliser la parité entre l’intégration maghrébine à travers l’Union du Maghreb Arabe en plus de l’intégration arabe de la Mauritanie à travers la ligue arabe, en réintégrant l’organisation sous régionale ouest africaine qu’est la CEDEAO en plus de son intégration africaine à travers l’Union Africaine, l’OMVS n’étant qu’une exploitation en commun de la ressource que constitue le fleuve Sénégal avec les autres pays riverains.

4. Propositions de recommandations et de mesures de rupture quant à la question du « passif humanitaire » Nous ne pourrons pas faire « l’économie » d’une commission Dialogue, Vérité, Justice, Mémoire et Réconciliation, méthode éprouvée dans de nombreux pays pour faciliter leur sortie de crises majeures, afin de transcender la fracture nationale générée par les violations massives des droits de l’homme survenues dans notre pays et qui sera le cadre pour :

• Favoriser la quête puis la révélation de la vérité quant à la réalité et la nature des exactions commises.

• Reconnaitre et situer les responsabilités.

• Obtenir la repentance des auteurs identifiés.

• Mettre en place des garde-fous institutionnels pour la non-répétition.

• Prendre en compte globalement la nécessaire restauration effective de la dignité des victimes.

• Institutionnaliser un devoir de mémoire en ce qui concerne « le passif humanitaire », élément important de la non répétition des actes de barbarie, pour lutter contre l’ignorance, l’oubli et le mépris, en rappelant le souvenir d’une tragédie qui dans une optique constructive doit occuper la place qui est la sienne dans les manuels scolaires et la conscience collective de la Nation.

• Assainir la Fonction Publique de ses éléments qui auraient été impliqués dans les exactions.

• Rechercher l’obtention du pardon et aboutir à la réconciliation. La démarche adoptée jusque là par les autorités publiques qui considèrent à tort avoir tourné cette page de notre histoire n’a pas été jugée satisfaisante par la majeure partie des associations de victimes rescapées et des ayants droit, ce qui par conséquent ne la rend pas opérationnelle dans le processus souhaité, par tous, de réconciliation.

L’enjeu pour la Nation est trop important pour accepter son instrumentalisation dans le but unique de « valider » un certain format du règlement du passif humanitaire en nous mettant devant le fait accompli, selon la vision unilatérale des régents du pouvoir. Ceux-ci ont tenté, dans une manoeuvre clientéliste, aidés en cela par une fraction non représentative des victimes rescapées et des ayants droit, de donner à leur démarche un aspect concerté.

En effet, avant d’aboutir au pardon et à la réconciliation, il faut avoir répondu au préalable à certaines questions qui pour le moment ne sont pas résolues en Mauritanie. Pardonner quoi et à qui ? Les incriminés identifiés demandent-ils le pardon ? Et y a-t-il l’engagement que cela ne se renouvellera plus ?

5. Propositions de recommandations et de mesures de rupture quant au rééquilibrage des institutions démocratiques, à la décentralisation territoriale et au partage intercommunautaire du pouvoir. Il s’agit de se questionner sur la nécessité de sanctuariser institutionnellement des règles de partage du pouvoir prenant en compte les différentes communautés de notre pays, comme cela existe par ailleurs dans le monde, en plus des nécessaires rééquilibrages des pouvoirs entre les institutions démocratiques, et d’une réforme en profondeur du découpage et de la décentralisation territoriale, visant à éviter les déviations autoritaristes et ségrégationnistes itératives.

La réalité, en pratique, de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, en Mauritanie, est en-deçà de l’idéal de l’État de Droit et de la Démocratie. Le pouvoir judiciaire est le plus important des trois pouvoirs dans la construction d’un État-Nation. Seule son indépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif garantit son impartialité dans l’application de la Loi.

Cette indépendance de la Justice devrait constituer, par conséquent, la première des préoccupations des bâtisseurs de notre Nation. C’est l’absence d’indépendance effective et de compétence de la Justice qui ne lui ont pas permis, notamment, de s’approprier son rôle de pouvoir modérateur des autres pouvoirs constitutionnels ni 20 celui de rempart contre l’arbitraire de la puissance publique, ce qui a fini par entraîner les déviations despotiques et les violations des droits humains que notre pays a connues.

C’est aussi la subordination de la Justice à l’oligarchie administrative notabiliaire qui a fini par en faire une justice raciale, ethnique, tribale et de classe. Le rapport des Nations-Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance en Mauritanie, suite à la visite de l’envoyé spécial Mutama Ruteere à Nouakchott, Rosso et Kaédi, en septembre 2013, est éloquent sur la nature exacte de la justice de notre pays.

Le rapport invite les autorités mauritaniennes à « adopter des mesures audacieuses et une politique de tolérance zéro face à l’impunité pour accélérer la réalisation d’une société mauritanienne égalitaire et diversifiée fondée sur le respect des droits de l’homme pour tous ». L’indépendance, l’autorité et l’impartialité effectives de la justice, en plus de la reformulation plus précise de son institutionnalisation, passent nécessairement par une réforme en profondeur du système judiciaire pour laquelle nous faisons les recommandations suivantes :

• Mise à disposition de l’appareil judiciaire, de ressources humaines qualifiées et de moyens financiers suffisants.

• Assurer à l’appareil judiciaire une autonomie administrative et financière.

• Lutter contre les pressions et les interférences dans son fonctionnement.

• Renforcer la stabilité de l’emploi en respectant scrupuleusement le principe d’inamovibilité pour le corps judiciaire.

• Gestion saine des carrières du corps judiciaire, notamment du point de vue des mutations.

• Logique de recrutement du corps judiciaire fondée sur des critères rigoureux de mérite et de compétence.

• Politique de promotion du corps judiciaire basée uniquement sur le mérite et la compétence de ses éléments.

• Rémunérations décentes et intangibles du corps.

• Réformer le Conseil supérieur de la magistrature, instance suprême de contrôle, de nomination et de sanction des magistrats, garante de l’indépendance de l’autorité judiciaire, avec une composition axée autour des magistrats du siège, des magistrats du parquet, et de personnalités qualifiées extérieures au corps judiciaire et désignées par des personnalités indépendantes avec un droit de veto de l’Assemblée Nationale et un président qui ne sera plus le Président de la République ni le Ministre de la Justice, mais une personne élue par l’ensemble des membres du Conseil supérieur de la magistrature parmi les personnalités qualifiées non magistrats.

• Pour permettre un équitable accès de tous à la Justice et radicalement changer l’image délétère d’une justice raciale ethnique ou de classe, abolir son arabisation intégrale et exclusive et promouvoir l’accès des Hratine et des Négro-Mauritaniens à l’appareil judiciaire par une discrimination positive dans les promotions à venir de l’ENAJM.

Cette réforme permettrait, en outre, de nous préserver contre l’instrumentalisation de la Justice visant à la mettre au service de règlements de compte, de la répression politique, policière ou militaire, confondant espaces judiciaire et politique, abusant du prétexte de la raison d’État, contraire au principe de l’État de Droit, en invoquant l’ordre public, la sûreté de l’État ou plus récemment l’apostasie la profanation ou le sacrilège.

Après l’exigence de l’indépendance de la Justice vient la préoccupation de la différentiation équilibrée des pouvoirs exécutif et législatif. Nous proposons une réforme profonde des rapports actuels entre ces pouvoirs pour garantir leur séparation de façon équilibrée, c’est-à-dire que les pouvoirs exécutif et législatif auront des moyens d’action les uns vis-à-vis des autres. Ainsi :

• La mise en jeu de la responsabilité du gouvernement devant le parlement, permettant au législatif de s’opposer à la politique de l’exécutif en ayant la possibilité de le renverser pourra se faire à l’initiative, soit du législatif par la motion de censure, soit du gouvernement par la question de confiance.

• La mise en jeu de la responsabilité du Président de la République dans certains domaines qui lui sont propres, en dehors des attributions du gouvernement, pourra se faire par le législatif qui a la possibilité de le révoquer.

• La mise en oeuvre du droit de dissolution, donnant la possibilité à l’exécutif de remettre en cause le législatif en procédant à la dissolution de l’Assemblée Nationale, permettra de rendre ainsi au peuple le rôle d’arbitre entre ces pouvoirs.

• Le pouvoir exécutif a, en plus de l’initiative de la loi par la soumission de projets de loi à l’Assemblée Nationale, le droit d’amendement des propositions de loi faites par l’Assemblée.

• Le pouvoir législatif a, en plus du droit d’amendement des projets de loi faits par le gouvernement, le droit à l’initiative de la loi par des propositions de loi.

• Le pouvoir législatif ratifie les traités négociés et signés par le pouvoir exécutif.

• Il sera mis un terme à la dualité actuelle du pouvoir législatif qui sera limité à l’Assemblée Nationale, considérant désuet le rôle du Sénat comme n’étant qu’une redondance de celui de l’Assemblée Nationale. Nous avançons pour cela quatre types d’arguments : l’argument historique est que, dans le passage des Monarchies, organisées autour du Roi, de la Noblesse et du Peuple, aux structurations en Républiques, le pouvoir exécutif a relayé celui du roi, la représentation du Peuple a été assurée par l’Assemblée Nationale et celle de l’Aristocratie par le Sénat.

Or l’aristocratie est un ordre féodal que la Mauritanie moderne doit neutraliser pour la libération et l’émancipation effective des esclaves, descendants d’esclaves et des stratifications sociales archaïques subalternes pour favoriser le changement de l’oligarchie administrative notabiliaire actuelle vers un réel système démocratique ; l’argument de justice démocratique est que le Sénat ne tire pas sa légitimité directement du Peuple mais de grands électeurs puisque les élections sénatoriales sont à suffrage indirect.

Nous constatons d’ailleurs à chaque élection sénatoriale, l’envolée du cours de l’achat des voix des conseillers municipaux ; l’argument de prévention de la subordination du pouvoir législatif au pouvoir exécutif qui, dans la configuration de dualité de l’ordre législatif, peut contourner l’expression de la volonté de la population en passant par le Sénat ; enfin, l’argument économique lié au coût du fonctionnement du Sénat que nous considérons inutile.

• Il faut atteindre une meilleure répartition du pouvoir exécutif, pour conforter sa dualité réelle non effective actuellement, entre le Président de la République, qui en a le monopole, et le gouvernement. Le Premier Ministre doit être le véritable chef du gouvernement ; il est responsable devant l’Assemblée Nationale et il constitue avec les ministres un organe collégial distinct du chef de l’État qui a des pouvoirs et une autonomie propres.

• Puisque le Sénat est proposé pour disparaître des institutions de la République nous proposons la création de la fonction de Vice-président avec candidature de liste pour les élections présidentielles afin de remplir le rôle de remplaçant du chef de l’État en cas de vacance du pouvoir. Ceci permettra aussi de diversifier la représentation des différentes communautés à la tête du pouvoir.

Ces rééquilibrages amèneront les différents pouvoirs à développer le sens du compromis pour résoudre les éventuelles crises institutionnelles et, associés à une réforme des forces de sécurité et de défense, ils rendront moins probable la possibilité de coup d’État.

Le gouvernement, dirigé par un Premier Ministre dont le rôle et l’autonomie sont renforcés deviendrait ainsi un organe de liaison entre l’exécutif et le législatif pour assouplir la séparation des pouvoirs grâce à sa double responsabilité devant le Président et devant le parlement, et jouerait le rôle de “tampon”, en cas de désaccord grave entre le parlement et le Président.

En complément de ces propositions en faveur du partage institutionnel du pouvoir, nous pensons nécessaire d’y associer la redynamisation et le renforcement de la décentralisation territoriale du pouvoir qui a été initiée depuis 1986 avec la communalisation, mais rapidement altérée et avortée. L’État transfère un certain nombre de compétences et de moyens d’action propres au profit de collectivités territoriales qui en plus du niveau communal s’étendra au niveau des moughataas et des wilayas.

Ces collectivités territoriales auront ainsi des conseils élus avec une personnalité morale et juridique, s’administrant librement à travers une autonomie financière et une capacité administrative propre et elles disposeront d’attributions effectives et de larges pouvoirs réglementaires, sans interférences avec les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, dans les domaines comme le développement économique, la santé, l’éducation et la culture, dans le cadre prédéfini de la République unitaire et indivisible de Mauritanie, qui est chargée de vérifier la légalité des décisions prises dans ces domaines par les autorités locales.

Les collectivités territoriales continueront évidemment de dépendre du pouvoir central pour ce qui est des attributs de souveraineté comme les affaires étrangères, la défense et la monnaie…

La décentralisation vise ainsi à assurer un meilleur équilibre des pouvoirs sur l’ensemble du territoire pour impulser le développement local en rapprochant le processus de décision des citoyens et du lieu de leur mise en oeuvre, par une délégation du pouvoir public et en favorisant, non seulement l’émergence et l’exercice d’une démocratie de proximité, mais aussi l’implication, la responsabilisation et le contrôle citoyens dans la gouvernance locale.

Cette organisation décentralisée du pouvoir a l’avantage de permettre le traitement de la diversité des situations spécifiques localement à chaque collectivité territoriale dans le cadre d’une coordination aux niveaux, national, des wilayas, des moughataas, des communes, et intercommunal, afin d’y apporter des réponses adaptées. La décentralisation initiée dans notre pays s’est révélée très rapidement être insuffisante et ralentie par de nombreuses pesanteurs socio-politiques pour finir, dans l’état actuel, par ne pas être effective.

La communalisation est limitée et des portions importantes du territoire national, où vivent pourtant des populations en nombre non négligeable, ne sont pas organisées en communes.

Les communes existantes ont des ressources humaines et financières très insuffisantes : institution d’une fiscalité locale propre et dotations financières de l’autorité centrale quasiment inexistantes, avec mauvaise définition des modalités de répartition des ressources publiques entre l’État et les collectivités locales ; gestion centralisée au niveau de la tutelle des ressources humaines locales sans véritable capacité administrative propre autonome, en particulier dans le recrutement des secrétaires généraux communaux qui sont désignés par le pouvoir central.

Jusqu’à présent, la décentralisation est fortement contrôlée, a priori et de manière étroite, par une tutelle qui opère en parallèle une déconcentration de l’administration territoriale comme pour la brider. Il n’y a toujours pas de mise en oeuvre du processus de régionalisation pourtant annoncé depuis longtemps comme il n’est toujours pas cité l’organisation au niveau départemental des collectivités territoriales. Les propositions concrètes concernant les domaines de compétences des collectivités territoriales sont les suivantes :

• Développement et aménagement économique, social et culturel.

• Création, construction, aménagement, entretien, fonctionnement, équipement et gestion des voieries et des transports ainsi que des écoles publiques et des infrastructures culturelles et sportives dans leur zone géographiques (communes, moughataas ou wilayas).

• Organisation et prise en charge des politiques de l’habitat, du logement social, de l’urbanisme, de l’aménagement de l’espace, du développement durable et du cadre de vie.

• Assainissement, adduction en eau et électrification.

• Élimination et valorisation des déchets ménagers et assimilés ainsi que protection et mise en valeur de l’environnement, en particulier lutte contre la pollution. Pour formaliser, en les précisant succinctement, les autres aspects concernant le découpage territorial et le partage communautaire du pouvoir, nous faisons les propositions suivantes :

• Au niveau de l’administration territoriale et centrale, procéder à un découpage territorial plus juste, en tenant compte de critères objectifs (la démographie et la vocation spécifique).

• Nommer équitablement les responsables administratifs (Wali, Hakem, Magistrats, autorité de sécurité) en tenant compte des critères objectifs tels que la bonne conduite des missions dévolues, l’engagement patriotique, la compétence ; La répartition des postes de responsabilité publique par le dosage ethnique, tribal, régional ou familial qui prévaut doit être proscrite.

• En matière de représentation internationale, tenir compte du caractère multiethnique de la Mauritanie. Promouvoir une représentation de la diversité de la Mauritanie dans les missions diplomatiques, en nommant des Négro-Africains et des Hratine.

• Promouvoir dans tous les domaines les femmes haratines et négro-mauritaniennes à l’image de leurs consoeurs mauresques. Dans le domaine économique et financier, il faut répartir équitablement les richesses nationales en prêtant une attention particulière aux exclus de longue date et en réalisant une réforme du système bancaire pour favoriser la mise en place et la généralisation, dans les différents secteurs de l’économie nationale, du crédit et du microcrédit, afin de réduire la pauvreté et d’éradiquer les formes modernes d’asservissement des hommes et d’exclusion économique communautaire.

Cette réforme en profondeur du secteur économique et financier passera aussi par un fond d’appui aux initiatives de développement économique pour accompagner financièrement et appuyer les projets d’intérêts économiques, les associations et les groupements ainsi que la micro-entreprise, en particulier dans le secteur agricole.

La communauté sooninké en général, celle de la Mauritanie en particulier, est connue dans le monde pour ses valeurs, ses qualités et son sens du sacrifice, pour son attachement à la patrie et pour son honnêteté et sa rigueur morale.

Aujourd’hui elle ne réclame que son dû, à savoir la place qui lui sied, comme entité à part entière de la nation mauritanienne. Par conséquent, elle aspire à être une actrice associée à la vie de notre nation et ce, à tous les niveaux, dès lors qu’elle participe à l’effort républicain de faire de la Mauritanie un havre de paix et de saine cohabitation sociale dont rêvent les patriotes de tous bords.

Conclusion

Malgré la succession des crises affectant la cohésion nationale et évoluant en s’aggravant, faisant poindre le risque palpable, aujourd’hui, d’une implosion généralisée dont seront victimes toutes les composantes de notre Nation, sortant du cadre réducteur de l’opposition manichéenne Arabo-Berbères contre Négro-Africains, dans lequel ceux à qui profite le crime ambitionnaient de nous enfermer, une certaine idéologie de la construction nationale continue à s’entêter, dans la négation des problèmes de l’esclavage et de la cohabitation communautaire en nous imposant une vision étriquée se suffisant de petits aménagements circonstanciels complètement superficiels, et en persistant dans le refus aveugle d’engager un processus sincère de dialogue.

Seul, celui-ci nous permettrait de nous accorder en profondeur sur toutes les dimensions de notre « attelage » précaire, en tant que Nation en construction, ainsi que sur les solutions pérennes idoines à mettre en oeuvre. Par sa contribution, le CRSM appelle à la redéfinition du pacte fondateur de la Mauritanie moderne dans le but de bâtir un véritable État-Nation, à travers l’émancipation des classes sociales subalternes, l’égalité sociale ainsi que la prise en compte et la promotion de l’égalité en droit et de l’égalité des chances, au-delà de nos conditions sociales, de nos appartenances raciales, ethniques, identitaires ou tribales, pour partager un réel espace commun de citoyenneté régi par les principes de la République, de l’Etat de droit et de la Démocratie, espace de liberté, de justice, de réconciliation fraternelle et d’épanouissement socio-économique.

Notre pays a besoin que ses enfants soient capables de changer de perspective et de proposer audacieusement une vision équitable, donc durable, de notre communauté de destin, en formulant un vrai projet de société avec l’exigence d’éliminer la méfiance et les ferments de la haine entretenus entre mauritaniens, par ceux qui voudraient, envers et contre tous, persister dans une vision rétrograde, afin de pérenniser certains privilèges indus, qui ne sont possibles que par la perpétuation hégémonique du système de pouvoir actuel.

La démocratie, c’est d’abord la protection des populations vulnérables, des démunis, des laissés pour compte et des opprimés, devenus irréfutablement une majorité silencieuse dans notre pays en dehors de toutes considérations de race, d’ethnie ou de tribu. Nous souhaitons partager avec l’ensemble de nos compatriotes les réflexions profondes que nous a léguées l’américain d’origine palestinienne Edward SAÏD, professeur de littérature comparée à l’université Columbia de New York, s’intéressant à la théorie critique du post-colonialisme, à propos des différences culturelles et de civilisations, parfaitement applicables au cas de notre Pays, afin que la Mauritanie ne se limite pas à un simple tracé des frontières, sans nation supra-communautaire ou post identitaire, et, en gardant à l’esprit de façon permanente, le fait que l’union nationale n’est jamais acquise et qu’elle doit demeurer une exigence de tous les instants :

« L’esprit critique n’obéit pas à l’injonction de rentrer dans les rangs pour partir en guerre contre un ennemi officiel ou l’autre. Loin d’un choc des civilisations préfabriqué, nous devons nous concentrer sur un lent travail en commun de cultures qui se chevauchent, empruntent les unes aux autres et cohabitent de manière bien plus profonde que ne le laissent penser des modes de compréhension réducteurs et inauthentiques.

Mais cette forme de perception plus large exige du temps, des recherches patientes et toujours critiques, alimentées par la foi en une communauté intellectuelle difficile à conserver dans un monde fondé sur l’immédiateté de l’action et de la réaction.

L’humanisme se nourrit de l’initiative individuelle et de l’intuition personnelle, et non d’idées reçues et de respect de l’autorité. Les textes doivent être lus comme des productions qui vivent dans l’histoire de manière concrète.

Enfin et surtout, l’humanisme est notre seul, je dirais même notre dernier rempart contre les pratiques inhumaines et les injustices qui défigurent l’histoire de l’humanité ». Aussi, faisons-nous nôtre, et invitons chacun de nos concitoyens à faire sien, le voeu optimiste et empreint de réalisme que la plume engagée du journaliste réputé Abdoulaye Ciré BA nous a livré, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’accession à l’indépendance de notre pays, pour conclure son texte commémoratif intitulé « Le pays rêvé » :

« Je sais que notre volonté de changer les choses restera longtemps contrariée par la nostalgie des paradis perdus ; que notre attente de justice sociale demeurera longtemps ensevelie sous la masse des privilèges et des égoïsmes ; que nos solidarités grégaires feront obstacle à l’émergence d’une fraternité citoyenne ; que la construction d’une communauté d’avenir sera longtemps entravée par le passé réinventé et fantasmé par nos particularismes socio-ethniques.

Il n’empêche ! Ceux de mon peuple ne sont ni les meilleurs ni les pires hommes et femmes de la terre. Mais ils ont cette qualité inestimable d’être les miens. Et c’est ensemble – eux en moi et moi en eux – que nous construirons, pierre après pierre, avec patience et détermination, le pays de nos rêves. ».