Quelle politique linguistique pour la Mauritanie

0
2045
jande.jpg

1. Introduction. Depuis quelques semaines, on assiste à une campagne médiatique sans précédent qui a fait et fait encore couler beaucoup d’encre et de salive au sujet du statut des langues dans notre pays. Tous les vecteurs ont été utilisés au service de cette ‘question nationale’ (articles de journaux ou sur le web, émissions à la radio et à la télé, conférences, communiqués, etc.)

1. Introduction. Depuis quelques semaines, on assiste à une campagne médiatique sans précédent qui a fait et fait encore couler beaucoup d’encre et de salive au sujet du statut des langues dans notre pays. Tous les vecteurs ont été utilisés au service de cette ‘question nationale’ (articles de journaux ou sur le web, émissions à la radio et à la télé, conférences, communiqués, etc.)

NB : cet article a été publié vers le 29 avril 2010 

De même, plusieurs catégories socioprofessionnelles (hommes politiques, professeurs, juristes, étudiants) y ont pris part. Chacun s’est exprimé passionnément sur cette question en fonction de son appartenance à une ethnie ou à une idéologie laissant libre cours à ses émotions, perdant le sens de la mesure et s’écartant ainsi de toute objectivité.

En l’espace de quelques jours, une crise identitaire est née et a hélas culminé ‘le jeudi noir’ avec les affrontements sanglants entre étudiants sur le campus de l’Université de Nouakchott.

Ces événements regrettables posent à nouveau le problème récurrent depuis près d’un demi-siècle de la politique linguistique dans notre pays.

Ainsi, autant il importe de trouver une solution rapide et définitive à ce problème autant il convient de privilégier les débats d’idées, les concertations plutôt que les invectives, les formules incendiaires et les jets de pierres.

C’est pourquoi il me semble que pour aborder publiquement un thème aussi sensible et si vital pour la coexistence pacifique de nos différentes communautés, il faut avant tout ‘savoir raison garder’, dépassionner le débat et traiter le problème sans parti pris, loin des surenchères et des intentions malveillantes.

C’est donc en guise de contribution au débat en cours sur cette question que je vous livre dans les pages qui suivent mes réflexions personnelles. Il ne s’agit pas pour moi de proposer un ‘package de politique linguistique’ qui à mon sens devrait être le fruit d’états généraux de l’éducation ou d’autres ‘forums de discussion’; il s’agit pour moi tout au plus de tracer les contours de cette politique linguistique à partir des données historiques, socioculturelles, géopolitiques et économiques de notre pays.

A ce sujet, je m’efforcerai dans ma démarche de mettre l’accent plus sur les données techniques aux dépens des considérations politiciennes afin que le lecteur se fasse une opinion sur une question si délicate mais cruciale pour l’avenir de notre pays.

2. Rétrospective

D’emblée, il est utile de préciser que le problème du rapport entre l’arabe et les trois autres langues nationales (pulaar, soninké et wolof) ne s’est jamais posé ni avant la colonisation ni pendant celle-ci. Toutes les données historiques tendent à démontrer qu’avant la colonisation française, les lettrés négro-africains musulmans de la Vallée, du Soudan français et du Sénégal utilisaient l’arabe dans leurs écrits (ouvrages, correspondances épistolaires). Il suffit de citer à ce sujet les écrits en arabe de Cheikh El Hadj Oumar Tall, Ousmane Dan Fodio et Cheikh Ahmedou Bamba, etc.

D’après Antoine Léon cette opinion est corroborée par le Commandant Supérieur du Soudan (Mali actuel) qui, dans une lettre du 29 novembre 1892 a demandé au Ministre de la Guerre de lui faire parvenir des journaux imprimés en langue arabe par les autorités algériennes et l’a informé par la même occasion que toute sa correspondance avec les chefs investis était écrite en arabe, de telle sorte qu’elle était la seule employée et que cette langue était la langue diplomatique dans le pays des Noirs. Ces derniers vont d’ailleurs revendiquer ouvertement l’enseignement de l’arabe dans leurs écoles comme l’écrit Jean Capelle :

« S’agissant de l’arabe et de l’islam, c’est justement pour cette raison que l’opposition parlementaire naissante réclamera dès 1949-1950 la création de médersas en pays à majorité musulmane : Sénégal, Soudan, Niger, Tchad ; l’enseignement de l’arabe dans le 2e degré et à l’institut supérieur de Dakar, l’octroi de bourses d’arabe pour l’AFN et la métropole et enfin 1 heure d’arabe en école primaire pour les pays à forte minorité musulmane.

Les arguments sont que l’arabe est une langue liturgique que la France laïque mais non anti-religieuse, se doit de favoriser, que ce n’est pas dangereux politiquement puisque les séparatistes peuvent s’exprimer en français et n’ont pas besoin de l’arabe, que le citoyen de l’Union française a droit au maintien de son statut personnel et au respect de sa culture ».

Pendant la colonisation, vu la place de choix qu’occupe l’arabe comme langue liturgique pour les musulmans africains, l’arabe fut donc introduit à côté du français dans toutes les régions où vivaient des communautés musulmanes (de la Mauritanie jusqu’au Tchad). C’était une exigence des députés de l’AOF.

En Mauritanie, l’enseignement du français était même facultatif notamment dans certaines médersas (Atar, kiffa). A ce sujet M. Ould Rouis écrit :

« A côté des cours d’arabe et en dehors du programme fonctionne depuis le mois de janvier 1938 un cours de français fait par le directeur aux élèves dont les parents en font la demande en 7 mois de scolarité et à raison d’une heure par jour. Les élèves ont terminé le 1er livret de Mamadou et Bineta et ont appris à compter de 1 jusqu’à 100 ».

Toujours en Mauritanie, à l’occasion des travaux de la commission spéciale pour la réforme de l’enseignement de l’arabe mise sur pied par l’administration coloniale en 1953, les membres de ladite commission ont rappelé l’attachement des deux communautés maure et noire à l’enseignement de l’arabe : l’un des membres de cette commission, feu Clédor Sall fait les observations suivantes :

« J’ai quelques dix ans de service sur le côté Sénégal-Mauritanie et je connais dans son ensemble les aspirations des populations du fleuve en ce qui concerne l’enseignement aussi bien de l’arabe que du français.

Il s’agit d’une question mauritanienne du moins c’est ce que pense l’administration. Je ne vous apprendrai rien en rappelant que les Toucouleurs, les Sarakollés aussi ben que les Maures aspirent les uns comme les autres à la même culture arabe (…)

Je ne sais pas le point de vue de l’administration pas plus que celui de l’assemblée, mais ne serait-ce que pour cette raison seulement, la langue arabe mérite d’être enseignée sur la vallée du fleuve dans les mêmes conditions que dans les autres régions de la Mauritanie ».

Toute le monde se souvient du rôle primordial joué par les vénérables cheikhs Abderrahamane Sakho et El Hadj Mahmoud Bâ (fondateur des écoles El Velah) dans la propagation de l’arabe et de l’islam, en Afrique de l’Ouest et en Mauritanie, en particulier.

Au lendemain de l’indépendance, le français était la langue dominante au niveau de l’administration et de l’enseignement en vertu de son statut de langue officielle. L’arabe considéré comme langue nationale était quasi absent de l’administration (excepté la justice) mais était enseigné comme seconde langue dans les établissements scolaires. Les autres langues nationales (pulaar, soninké et wolof) étaient considérées comme des dialectes, (à la radio on parlait de ‘langues vernaculaires’) et n’avaient donc pas droit au chapitre.

Mais c’est du début des années soixante-dix que date le tournant avec la volonté affichée du régime en place de consacrer la suprématie de l’arabe sur le français; c’est ainsi que des initiatives ont été prises dans ce sens au niveau du système éducatif et de l’administration. Dans le premier temps, c’était le bilinguisme franco-arabe qui était instauré. Dans son Rapport sut l’état de la Nation, le Président de la République à l’époque feu Maître Moktar ould Daddah revient sur cette option :

« Dans le domaine de l’enseignement primaire, nous sommes à l’aube de la plus importante réforme intervenue dans notre système éducatif depuis l’indépendance. Cette réforme décidée parle BPN (Bureau Politique national) à la suite du rapport de la commission culturelle, instituée en 1966 par le congrès d’Aïoun, fait du bilinguisme la voie désormais à suivre en matière de développement culturel par tous les Mauritaniens».

Toutefois, la réforme de 67, un an après son application n’a pas répondu aux espoirs placés en elle. En réalité, elle n’a pas modifié d’une façon significative les structures du système et elle a très peu amélioré le contenu de l’enseignement. Elle s’est limitée en fait à instaurer une année consacrée à l’initiation à l’arabe et à renforcer les horaires des enseignements dispensés en cette langue au cours du reste de la scolarité. Et comme c’est toujours le congrès du parti qui définit les orientations générales du pays et détermine sa politique éducative, au congrès de 68, un pas décisif fut franchi avec l’officialisation de la langue arabe.

Désormais la loi N° 68065 du 4 mai 68 met sur un pied d’égalité l’arabe et le français. L’option du bilinguisme comme étape transitoire a été proclamée. Ainsi, une nouvelle réforme adoptée par le Bureau Politique National du parti en 1972 fut mise en application en 1973. Elle se veut une réforme du système éducatif allant du primaire jusqu’au supérieur et non plus un simple réaménagement des horaires du français ou de l’arabe. L’extrait suivant du discours de Maître Moktar ould Daddah en fixe les objectifs :

« La concrétisation du renouveau culturel que le PPM s’est assigné est devenue une nécessité impérieuse et prioritaire. Le dernier Congrès du Parti a confirmé cette option en soulignant l’importance de la repersonnalisation de l’Homme mauritanien qui doit reposer sur l’indépendance culturelle, elle-même fondée sur la réhabilitation de la langue arabe qu’est la langue de culture et de religion de notre peuple ».

Cette orientation sera reprécisée en juillet 1971 par Ould Daddah lorsqu’il écrit dans son Rapport moral :

« Notre indépendance culturelle est un idéal qui n’a été que partiellement atteint ; on doit procéder surtout à une arabisation progressive de notre administration au niveau de la région et du département. En écrivant en arabe, en s’exprimant, en irradiant en quelque sorte la langue arabe autour de lui, l’administrateur arabisant obligera les autres à faire un effort dans le même sens ».

Mais il faudra attendre la réforme de 75 pour que l’arabisation comme option fondamentale, irréversible soit instituée. Dans son discours sur l’état de la Nation le 28 novembre 1974, le Président de la République déclare que ‘l’arabisation de tout notre système éducatif est désormais engagée d’une manière irréversible et sa progression qui conciliera le souhaitable et le possible inéluctable’.

C’est dans cet esprit que se tiendra en juillet 1975 à Nouakchott le 4e congrès du Parti. Celui-ci confirme les options culturelles déjà prises tout en ‘radicalisant l’indépendance culturelle’ par une arabisation totale.

La réforme de 1975 est alors engagée grâce aux concours financiers de l’IDA et à l’appui technique de l’UNESCO.

Dans un discours prononcé à l’occasion de la rentrée scolaire 1975-1976, le Ministre de l’enseignement secondaire et de la formation des cadres-citant la commission culturelle-déclare :

« (…) On peut affirmer dès lors que le processus d’arabisation totale est engagé, qu’il s’accélérera rapidement et qu’il est inévitable, parce qu’après l’institution du bilinguisme qui n’était qu’une super-transition, la réhabilitation de la langue et de la culture arabes seront le début de la renaissance de nos valeurs nationales. » Toutefois, il est utile de souligner que malgré les principes proclamés, cette volonté n’a pu s’inscrire concrètement dans les faits, jusqu’à la chute du régime de la première République en 1978. Deux raisons majeures expliquent cet état de fait, l’une politique, l’autre technique.

Sur le plan politique, il est à souligner l’absence de toutes concertations préalables entre la Base et le Sommet, ce qui crée parfois des quiproquos et des incompréhensions voire des tensions. On sait qu’en février 1966, certains fonctionnaires négro-mauritaniens ont exprimé ouvertement leur hostilité à l’arabe. En effet, dans le communiqué qu’ils ont publié à ce sujet (Manifeste des 19), ils écrivent :

« – Déclarons être hostiles à la mesure rendant l’arabe obligatoire dans les enseignements primaires et secondaires.

– Engageons le combat pour détruire toute tentative d’oppression culturelle et pour barrer la route à l’arabisation à outrance.

– Exigeons l’abrogation pure et simple des dispositions des lois 65-025 et 65-026 du 30 janvier 1965 rendant l’arabe obligatoire dans les 1er et 2ème degré et qui ne tiennent aucunement compte des réalités mauritaniennes ».

Treize ans après, en 1979, les lycées négro-mauritaniens occupent la rue pour dénoncer l’augmentation du coefficient de la langue arabe et de l’introduction de l’IMCR au Bac, à la suite de la circulaire N°2 du Ministre de l’Education à l’époque Seck Mame N’Diack.

C’est d’ailleurs sous la poussée de ces événements que le Comité Militaire de Salut National (CMSN) dut prendre dans la précipitation les ‘mesures d’octobre’ instaurant un enseignement bicéphal et consacrant la séparation entre élèves noirs et maures (filière arabe pour les Arabo-Berbères et filière française pour les Négro-Mauritaniens).

Pour ce qui est de l’aspect technique, il est utile de souligner que ni les moyens matériels et humains ni le temps n’ont été mis à profit pour la réussite des réformes éducatives engagées (1967, 1973, 1979). La dernière réforme (1999) dont les conséquences se révèlent déjà catastrophiques n’a pas échappé à la règle.

3. Le statut des langues en présence en Mauritanie

Il est utile de rappeler qu’en Mauritanie pays pluriethnique et multiculturel, quatre communautés disposent chacune de sa propre langue: le hassanya (dialecte dérivé de l’arabe), le pulaar, le soninké et le wolof. La constitution du 20 juillet1991, stipule en son article 6 : ‘les langues nationales sont : l’arabe, le pulaar, le soninké et le wolof. La langue officielle est l’arabe’.

En plus de ces quatre langues, il est à noter la forte présence du français tant au niveau de l’administration publique et privée qu’au niveau de l’enseignement scolaire. On remarque cependant que malgré cette position privilégiée, la Loi Fondamentale l’a tout simplement occulté.

Afin que le lecteur se fasse une opinion objective du statut des langues en présence dans notre pays, nous nous proposons de faire un aperçu général sur chacune de ces langues : statut, aire de diffusion, nombre de locuteurs, etc. S’agissant particulièrement, du nombre de locuteurs il y a lieu de prendre les chiffres avancés avec beaucoup de précautions dans la mesure où les statistiques sont souvent approximatives et contradictoires selon les sources ; la difficulté n’est-elle pas réelle dès qu’il s’agit de déterminer à partir de quel seuil peut-on considérer le locuteur d’une langue étrangère ?

3.1. Le hassanya/l’arabe

Comme déjà mentionné, le hassanya et l’arabe sont intimement liés dans la mesure où le premier est dérivé du second à l’instar des autres pays arabes qui disposent chacun de son propre dialecte. Le hassanya est parlé en Mauritanie au Sahara Occidental, au nord du Mali et du Niger.

La langue arabe est parlée par environ 530 millions dont 280 millions la parlent en tant que langue maternelle (source : Wikipedia.org). Elle est la langue officielle de 22 pays membres de la Ligue arabe ; elle est co-officielle au Tchad; Elle a une forte présence en Afrique subsaharienne notamment dans les pays en majorité musulmane (Sénégal, Niger, Mali, etc.) où elle est enseignée dans de nombreuses écoles (écoles franco-arabes, écoles arabes, écoles coraniques).

La langue arabe est une langue privilégiée dans la plupart des pays musulmans (Iran, Pakistan, Afghanistan, etc.) que ce soit au niveau du contenu d’enseignement que de l’alphabet. Comme langue liturgique, plus d’un milliard de musulmans en récitent au moins une sourate (la Fatiha obligatoire) cinq fois par jour.

De même, elle est la langue de travail de plusieurs institutions internationales : ONU, UNESCO, OCI, Union Africaine, etc. Plusieurs organisations internationales (ALECSO, ISESCO) concourent à son développement et à sa diffusion.

Sur le plan médiatique, on peut noter des centaines de chaînes de télévision et de stations de radios publiques et privées émettant à partir des pays arabes (Al Jazzera, El Arabiya, etc.).

De nombreuses radios et chaînes internationales diffusent leurs émissions en arabe en direction du monde arabe (BBC, Radio Monte Carlo, El Hurra, France 24, DW, etc.). Malgré son rayonnement dans le passé grâce à ses penseurs (Averroes, El Kindi, Ibn Khaldoun, etc.), la richesse de sa littérature (Naguib Mahfoudh Prix Nobel), et sa large diffusion à travers le monde notamment dans les pays islamiques, il est indéniable que l’arabe accuse aujourd’hui un certain retard sur le plan scientifique et technologique par rapport à l’anglais et au français.

En Mauritanie, l’arabe est présent au niveau scolaire, du primaire jusqu’à l’université. Depuis la dernière réforme (1999), on l’a confiné dans le rôle de véhicule des sciences humaines et religieuses. Le Bilad Chinghitt est réputé pour la pureté de la langue de ses habitants et l’érudition de ses savants. L’appellation ‘le pays au million de poètes’ serait-elle un hasard ?

L’arabe est également présent au niveau de l’administration même si le beau rôle est confié au français en tant que langue de travail. Pour pouvoir accéder à un emploi (établissements publics, banques, sociétés) des milliers de cadres doivent se résoudre à suivre une formation linguistique en français au CREL, dans les Alliances franco-Mauritaniennes ou dans d’autres structures privées.

3.2. Le pulaar

Le pulaar est parlé dans une vingtaine d’Etats d’Afrique des rives du Sénégal à celles du Nil par les ethnies peuls, toucouleurs et laobés. On note quelques différences entre les parlers de ces ethnies. On estime ses locuteurs entre 10 et 20 millions (source (Wikipédia.org).

En Mauritanie, en dehors de Nouakchott, Nouadhibou et Zouérate, le pulaar est parlé principalement dans le sud, au Fouta Toro.

Les haalpulareens (littéralement ceux qui parlent pulaar) forment l’ethnie la plus importante numériquement de la communauté négro-africaine de Mauritanie. Cette langue emprunte à l’arabe dans le domaine du religieux, le système calendaire et la botanique.

3.3. Le soninké

Le soninké est parlé dans la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest mais se concentre essentiellement dans la région transfrontalière autour de la ville malienne de Kayes (Vallée du fleuve Niger et du Sénégal, ouest du Mali et est du Sénégal). On note quelques différences entre les parlers des populations soninképhones selon les pays. On estime les locuteurs de cette langue au nombre d’un million (source : Wikipédia).

En Mauritanie, en dehors de Nouakchott, Nouadhibou et Zouérate, le soninké est parlé essentiellement au sud et au sud-est notamment dans la région du Guidimagha, Les Soninkés sont numériquement la deuxième ethnie de la communauté négro-africaine de Mauritanie.

3.4. Le wolof

Le wolof est parlé au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie. Au Sénégal il est la langue véhiculaire. Bien que les Wolofs ne représentent qu’environ 45% de la population sénégalaise, la langue wolof est parlée par près de 95% de Sénégalais et on ne note pas de différences significatives au niveau de cet idiome.

On estime les locuteurs de cette langue au nombre de 11 millions. (source : Wikipédia. En Mauritanie, en dehors de Nouakchott, Nouadhibou et Zouérate, le Wolof est parlé presque exclusivement au Trarza.

Les wolofs sont numériquement la troisième ethnie de la communauté négro-africaine de Mauritanie.

3.5. Le français

Le français est parlé en tant que langue maternelle en France, en Wallonie (Belgique), en Suisse romande, au Luxembourg, au Québec, aux Etats-Unis d’Amérique ( Louisiane et Maine). Il est langue officielle ou co-officielle dans 32 pays principalement africains. Les Etats francophones se regroupent dans l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Cette organisation comprend 70 Etats et Gouvernements (56 membres et 14 observateurs) soit plus du tiers des Etats membres des Nations-Unies.

On estime à 200 millions le nombre de locuteurs francophones. C’est la 3e langue de la Toile et elle est la 9e langue la plus parlée dans le monde (Source : francophonie.org). La langue française est une langue officielle à l’ONU, à l’UNESCO et au CIO ; elle est une langue de travail dans de nombreuses institutions et organismes (Union européenne, Union Africaine, etc.). Plusieurs institutions veillent aux normes de la langue française : l’Académie française, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France et l’Office Québécois de la langue française, etc.

Le français dispose d’une presse écrite foisonnante à travers le monde. Sans vouloir minimiser la presse qui paraît dans les autres pays francophones, nous nous limiterons ici aux titres les plus connus en France: quotidiens (Le Monde, Libération, Le Figaro, le canard enchaîné, etc.), hebdomadaires (L’Express, le Point, le Nouvel Observateur, etc.). Au plan de l’audio-visuel, on peut citer les médias dont l’audience a franchi les frontières de l’Hexagone : RFI, France 24, TV5, etc.

Des prix littéraires sont décernés chaque année aux lauréats en littérature: Goncourt, Renaudot, Médicis, etc.

Malgré sa large diffusion particulièrement en Afrique et son dynamisme dans tous les domaines, l’anglais est clairement préféré au français en matière de publications scientifiques et de discours à la tribune de l’ONU.

En Mauritanie, le français occupe depuis l’époque coloniale une place de choix tant sur le plan scolaire que sur le plan administratif. En effet, le français est enseigné depuis l’école primaire jusqu’à l’Université. La dernière réforme de l’enseignement (1999) lui assigne le rôle de vecteur des disciplines scientifiques.

Au niveau de l’administration, de nombreux Départements ministériels notamment ceux à vocation économique ou technique (Ministère des Finances, des Affaires Economiques, de l’Energie, de l’Industrie, etc.) demeurent des bastions pour le français : les formulaires administratifs, les correspondances, les études sont rédigés en français.

Au cas où les documents seraient bilingues, la version originale est toujours le français, ce qui pose souvent des problèmes cocasses de traduction (contresens, non sens, etc.). Combien de fois les parlementaires s’en sont plaints auprès des membres du Gouvernement en rappelant le statut de l’arabe en tant que langue officielle donc langue source ?

Par ailleurs, le français est très présent sur la scène médiatique : journaux privés (Le calame, la Tribune, le Quotidien de Nouakchott, L’Eveil-Hebdo), le journal gouvernemental Horizons, les journaux d’information à la Radio et à la Télévision. On se demande si la radio française RFI n’est pas mieux écoutée ici que Radio- Mauritanie ? Dans la rue, les signaux routiers et les enseignes des magasins sont pour la plupart bilingues.

De même, le français est utilisé dans certaines situations de communication comme langue véhiculaire entre les différentes communautés mauritaniennes et entre les Mauritaniens et les ressortissants des pays voisins.

En somme, le français, héritage commun des différentes communautés est, qu’on le veuille ou non partie intégrante de notre patrimoine et il serait illusoire de le supprimer d’un revers de la main.

4. L’enseignement en langues nationales

D’emblée, il est utile de rappeler qu’on entend par ‘enseignement en langues nationales’, l’enseignement du pulaar, du soninké et du wolof.

Même si sous le régime de feu Moktar ould DADDAH, aucune étape n’a été franchie dans ce domaine, ce n’est nullement par mauvaise volonté politique, c’est plutôt –croyons-nous- en raison de la complexité du problème. En effet, dans son discours devant la Commission de la Réforme créée par le congrès de 1971, il déclare :

« la repersonnalisation de l’Homme mauritanien par le retour à l’authenticité, la réhabilitation de notre culture et de nos valeurs nationales exigent de nous-et ceci n’est que naturel dans le cadre d’une politique de renouveau culturel intégral-que nous reconsidérions la place qu’occupent nos langues populaires, langues que nous devons conserver comme un patrimoine culturel qui renferme mes sentiments, les modes d’expression techniques et scientifiques du génie authentique d’une partie de notre peuple. A ce titre, il importe que nous aidions non seulement à les conserver, mais aussi à en assurer l’épanouissement parla voie de l’enseignement et de la pratique.

Il appartient également à votre commission de proposer les moyens adéquats en vue de réaliser cet objectif. Nous devons suivre l’expérience de nos voisins en ce domaine, expérience qui n’en est qu’à ses débuts ; comme nous devons étudier l’expérience entreprise par des organisations et organismes spécialisés en la matière ».

Il n’est point besoin de démontrer qu’au début des années soixante-dix, les trois langues dont il est question sont au stade de l’oralité et que les expériences en cours dans la sous-région notamment en Guinée (Conakry) n’ont pas encore produit de résultats probants. On sait que l’expérience guinéenne a été stoppée net dès la disparition du Président Sékou Touré. Tel n’est pas le cas pour l’arabe qui est langue écrite depuis plus d’un millénaire.

Or, vouloir introduire l’arabe dans l’enseignement et les rouages de l’Etat et laisser à l’écart les autres langues nationales serait mal perçu par les locuteurs de ces langues. Parallèlement donc à la réhabilitation et à la revalorisation de la langue arabe, il fallait continuer à mener les recherches en vue de la promotion des langues nationales, même si les responsables concernés ne se font pas d’illusion à ce sujet et estiment que c’est là une œuvre de longue haleine. Mohameden Ould Babbah s’en explique :

« Il y a certains parmi nous qui s’entêtent pour des raisons diverses à vouloir faire croire qu’on peut faire instantanément une langue sur mesure. S’ils étaient suivis dans leurs désirs qui relèvent du syncrétisme pur, les auraient amené les communautés au nom desquelles ils parlent au suicide culturel. (…) Nos langues nationales, une fois normalisées c’est-à-dire quand nous en aurons fixé le s règles sémantiques, morphologiques, phonologiques, grammaticales mettent longtemps avant d’être des langues-outils, aptes à véhiculer une culture scientifique ».

Ainsi, devant le réalisme ou le calcul politique des autorités à l’époque, rien de concret n’a été entrepris en vue de la transcription et de l’enseignement des langues nationales. C’est donc avec l’avènement du régime militaire et sous la pression des événements que cette option fut envisagée sérieusement. A ce sujet le CMSN a arrêté les mesures suivantes :

– Officialisation de toutes les langues nationales,

– Transcription des langues nationales ( pulaar, soninké, wolof) en caractères latins,

– Création d’un Institut de transcription et de développement des langues nationales,

– Enseignement des langues nationales qui, à terme, doivent donner les mêmes débouchés que l’autre langue nationale, l’arabe,

Selon les recommandations du CMSN, ce ‘ système doit rentrer en vigueur dans un délai maximum de 6 ans’.

Aussitôt, par décret N° 79 348, l’Institut des Langues Nationales dont ‘la mission est d’organiser, de coordonner et de promouvoir l’ensemble des recherches appliquées dans le domaine de toutes les langues nationales’ est créé.

Le Ministre de l’Education nationale Hasni Ould Didi, dans un discours devant la Commission nationale de la réforme de l’enseignement justifie ces mesures en déclarant :

« Les options du CMSN sont claires : les langues nationales doivent prendre place dans le système éducatif et être utilisées comme véhicule du savoir, sous toutes ses formes au fur et à mesure que cela deviendra possible, suivant les progrès qui seront réalisés dans leur développement. Mais il est indispensable que vous compreniez tous que cette décision n’est pas une mesure ‘politicienne qui cache un calcul sordide et sans lendemain’. Toutes nos langues nationales font partie de notre patrimoine culturel et sont le moyen de communication d’une partie de notre peuple. Nous ne pouvons recouvrer notre identité nationale, si une partie de notre culture est négligée »

C’est en octobre 1982 que douze classes expérimentales furent ouvertes dans des régions du pays qui répondent aux critères d’implantation. En 1989, l’effectif des classes expérimentales pulaar, soninké et wolof était de 1720 élèves répartis entre 66 divisions pédagogiques pour 52 classes ayant comme langue première le pulaar, le soninké ou le wolof et 14 classes de filière arabe ayant ou le pulaar ou le soninké ou le wolof comme langue seconde avec pour un total de 125 enseignants : 80 francisants et 45 arabisants .

Pour l’année scolaire 1991-1992, les effectifs ont diminué passant à1192 élèves. Cette chute s’expliquerait peut-être par la réorientation intervenue en février 1988 qui arrête l’expérimentation au niveau du fondamental et demande aux parents de choisir pour leurs enfants entre l’arabe et le français comme langue d’enseignement au secondaire. Par la suite, suite à la réforme de l’éducation intervenue en avril 1999, l’enseignement en langues nationales a été arrêté et l’Institut des Langues Nationales transformé en un Département des langues nationales à l’Université de Nouakchott.

Cette expérience, à la lumière d’une évaluation interne et externe a donné des résultats encourageants. Mas elle aura permis de démontrer ses limites.

D’abord au niveau des parents qui craignent de voir leurs enfants servir de ‘cobayes’, ensuite sur le plan technique où quoiqu’en disent les fervents défenseurs de l’enseignement des langues nationales, au-delà du fondamental des problèmes sérieux risqueraient de se poser, à l’image de l’expérience guinéenne.

Afin de garantir son succès, l’enseignement en langues nationales devrait à notre avis s’inscrire dans une politique nationale qui s’inscrirait dans la durée et qui prendrait en compte les données politiques socioculturelles et économiques du pays.

5. Perspectives

Cinquante ans après son indépendance, la Mauritanie n’a pas encore réussi à définir une politique linguistique consensuelle.

En effet, ce qu’il est convenu d’appeler ‘la question nationale’ ne laisse personne indifférent (du moins chez les soi-disant intellectuels) et suscite encore des débats passionnés ; vu souvent sous l’angle de la politique et des intérêts partisans, le problème des langues déchaîne toujours les passions ; c’est pourquoi depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, aucun gouvernement n’a osé l’attaquer de front.

Le problème de (s) langue (s) est donc récurrent depuis l’indépendance du pays. Et en raison de son caractère sensible et délicat personne n’a voulu ou pu le trancher. Déjà Bottier et Vézinet avaient écrit dans leurs conclusions sur le système éducatif mauritanien que’ l’arabisation est une question où les éléments passionnels, se mêlant de part et d’autre à des sentiments moins désintéressés… dans ces conditions, il ne sera pas possible de proposer au problème de l’arabisation de l’enseignement mauritanien une solution satisfaisante pour les deux parties ».

C’est à la même conclusion qu’à abouti quelques années plus tard, le Secrétaire général de la Présidence de la République (de l’époque), Mohamed Aly Chérif :

« En tout état de cause sans une politique culturelle qui dépasse les perspectives du rapport entre le français et l’arabe, il semble difficile d’envisager l’avenir avec optimisme. Il me paraît d’autant plus essentiel d’examiner le problème qu’il sensibilise tout le monde et polarise plus que toute autre question les générations montantes. Problème politique complexe, il appelle des études assurément sérieuses et plus approfondies et des décisions politiques qui s’inscrivent au-delà des données de la conjoncture ».

Cependant, il nous semble que malgré les appréhensions de toutes sortes et les difficultés, il est impérieux dans un pays plurilingue qu’une politique linguistique claire soit définie selon le sens attribué à cette expression par Louis-Jean Calvet :

« Nous considérons la politique linguistique comme l’ensemble des choix conscients effectués dans le domaine des rapports entre langue et vie nationale. (…) Mais la politique linguistique peut aussi intervenir sur les rapports, dans les situations plurilingues, lorsqu’il faut choisir une langue nationale parmi plusieurs langues en présence, aménager un plurilinguisme régional, décider des langues d’enseignement, de communication médiatique, etc. ».

A cet effet, il nous paraît nécessaire pour la mise en place de toute politique linguistique de concilier entre quatre exigences fondamentales : l’unité nationale, les droits de l’homme, les possibilités socioéconomiques du pays et l’environnement mondial.

– L’unité nationale

La consolidation de l’unité nationale est un principe sacro-saint et un acquis considérable qu’il faut préserver. C’est là à notre avis un impératif majeur ; car dans un pays encore fragile marqué par des ‘antagonismes’ de toutes sortes, liés à la race (les Arabo-berbères vs les Négro-Mauritaniens), à la condition sociale (les haratines, les forgerons, les griots, etc. vs les gens non castés ), au tribalisme (près de deux cents tribus, chacune prétendant être supérieure aux autres) et au régionalisme (Echarg, Tagant, Essahel, El Guebla, etc.), il est impératif de trouver un consensus sur l’identité et le statut des langues du pays. Et pour y parvenir, qu’y a–t-il de mieux qu’une langue unitaire, une langue véhiculaire entre les différentes composantes de la population ?

L’histoire des systèmes éducatifs de nombreux pays plurilingues, à travers le monde nous fournit à ce sujet des exemples précieux. Le jacobinisme en France n’a–t-il pas imposé la langue française à des peuples dont ce n’était pas la langue maternelle (les Bretons, les Corses, etc.) dans le souci de construire un Etat centralisé ? A l’heure actuelle, la Martinique (l’île d’Aimé Césaire), la Nouvelle Calédonie, la Guadeloupe, l’île de Mayotte, n’ont-elles pas le français comme langue officielle unique, malgré les idiomes qui y sont parlés ? En ex-URSS, la langue véhiculaire des différentes républiques n’est-elle pas le russe ?

Nous ne parlons pas volontiers des pays de l’Afrique noire où l’existence de dizaines voire de centaines de dialectes locaux n’a pas permis jusqu’à présent l’émergence d’une langue nationale et sa promotion au rang de langue officielle à l’échelle de chaque Etat. Tous ont donc au lendemain des indépendances, adopté la langue de l’ancien colonisateur.

Au Maghreb, notamment au Maroc et en Algérie où on parle l’arabe et le berbère, c’est la première langue qui a été choisie comme langue officielle.

En Mauritanie où l’arabe constitue la langue de la majorité des habitants du pays, la langue du Coran (le Livre Saint en qui croient tous les Mauritaniens), la langue des échanges commerciaux (à l’intérieur du pays) et de surcroît une langue internationale (parmi les six langues de travail de l’ONU, ne devrait-elle pas légitimement être consacrée langue officielle et jouer le rôle de langue de ’ciment’ ?

Notre réponse est assurément oui, mais cette officialisation de la langue arabe ne signifie pas à nos yeux l’étouffement des autres langues et cultures nationales ou leur marginalisation. Au contraire, tout doit être mis en œuvre en vue de leur promotion et de leur opérationnalisation afin qu’elles contribuent à l’enrichissement de notre patrimoine culturel national et à l’épanouissement de leurs locuteurs.

En somme, toute politique linguistique conséquente devrait s’inscrire dans ‘l’unité dans la diversité’ et reposer sur un consensus national comme le proclame dans sa conclusion le document élaboré par l’Institut des Langues Nationales :

« En tout état de cause, elle montre que toutes les politiques linguistiques décidées dans de situations de plurilinguisme ne devraient pas être imposées mais basées sur une reconnaissance des uns et des autres, pour conférer à l’école un rôle de formateur et de préservateur des identités culturelles ».

– Les droits de l’Homme

Le droit de chaque individu d’apprendre sa langue maternelle est un droit inaliénable ; il s’inscrit parfaitement dans le cadre de la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement et la Convention internationale sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptées par l’UNESCO, respectivement le14 décembre 1960 et le 20 octobre 2005.

Il est unanimement reconnu que la langue maternelle est le meilleur moyen pour l’enfant de s’épanouir. Ainsi, sur le plan psychopédagogique, il a été prouvé que le rendement scolaire de l’élève qui apprend dans sa langue maternelle est plus élevé que quand il apprend dans une langue étrangère. C’est pourquoi il est utile que les notions de base (en calcul, lecture, écriture) soient données dans la langue maternelle de l’apprenant.

L’expérimentation des langues nationales en Mauritanie et au Mali– pour ne donner que ces deux exemples- et dont les résultats étaient concluants, prouve la véracité des affirmations précédentes. D’ailleurs, au cours de la rentrée scolaire 94-95, le Mali a décidé de systématiser l’enseignement en langues nationales au niveau de son enseignement de base (les deux premières années).

Cependant, la généralisation d’un tel enseignement à l’heure actuelle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.

En effet, les analyses linguistiques et les études dialectologiques ne sont pas suffisamment avancées pour permettre la production du matériel didactique nécessaire à partir du primaire. On se souvient qu’en Guinée (Conakry, il y avait blocage à partir du premier cycle secondaire, ce qui a conduit à une impasse ; Madagascar en a fait aussi l’amère expérience. C’est dire que dans le contexte mauritanien, vouloir généraliser l’enseignement en langues nationales sans avoir pris au préalable toutes les précautions nécessaires, conduirait inéluctablement à l’échec. Or, il ne sert à rien de tomber dans les mêmes erreurs déjà commises par d’autres et sacrifier ainsi l’avenir des générations d’enfants.

Jusqu’ici aucun pays de la sous-région n’a entrepris l’enseignement généralisé et systématique de l’une ou de plusieurs de ses langues nationales.

Dans un article paru dans Jeune Afrique, Jean Claude PERRIER, écrit à propos de la décision du gouvernement malien d’introduire l’enseignement des langues nationales au cours des deux premières années de l’enseignement primaire :

« (…) Cependant plusieurs de nos interlocuteurs, enseignants, intellectuels, fonctionnaires, confient les craintes qu’ils éprouvent, sur ces deux points fondamentaux. En premier lieu , le recours aux langues nationales ne représente-t-il pas une espèce de repli sur soi qui, à une époque de mondialisation des économies et des cultures, priverait les petits Africains d’un certain nombre de chances que peut leur offrir la maîtrise du français. En second lieu : le choix de la langue nationale enseignée dans une école est fonction de la région où elle se trouve. Ce qui supposerait que les élèves résident là où ils sont nés ».

Tout récemment, le Président Abdou Diouf, Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, fervent défenseur de la diversité linguistique et culturelle, dans une interview sur TV5, à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la Francophonie n’a pas milité en faveur de l’officialisation des langues africaines. Toutefois, il s’est dit partisan de l’enseignement des langues nationales durant les premières années de la scolarité, malgré les réticences des parents. Il est vrai que devant cette question, les avis sont partagés, que ce soit en Mauritanie ou ailleurs.

Malgré cela, il nous paraît utile que les recherches relatives au développement et à la promotion des langues nationales soient poursuivies et même intensifiées dans les instituts spécialisés et dans les universités ; de même, les campagnes d’alphabétisation devraient être entreprises dans les différentes langues nationales pour élever le niveau de conscience des masses et répandre parmi elles les notions d’hygiène, de civisme mais aussi pour vulgariser les connaissances ayant trait à leur mode de vie : travaux des champs, élevage, pêche, etc.

Au niveau des médias publics, une plus grande place devrait être accordée à nos langues nationales pour mieux répondre aux besoins et attentes des populations. On se souvient de l’enthousiasme suscité par le démarrage des émissions ciblées de TVM plus et des programmes régionaux de RadioMauritanie.

– Les possibilités socioéconomiques

Toute politique linguistique quelle qu’elle soit est tributaire des conditions sociales et économiques. Elle doit être l’émanation de la société toute entière et le reflet de ses ressources matérielles.

Ainsi, actuellement en Mauritanie, en raison d’une administration centralisée et du caractère cosmopolite de la population, surtout des grandes villes et de la mobilité de la population (fonctionnaires, travailleurs), il serait difficile d’envisager un enseignement efficace dans les quatre langues nationales. On sait que la principale cause de l’échec de la réforme de 1999 est la faiblesse de la planification et de la gestion des personnels enseignants en plus du nombre insuffisant d’enseignants francophones.

Dans ce cadre, l’exemple de la Suisse serait intéressant à citer à ce sujet mais il diffère du cas de la Mauritanie par le fait que la Confédération helvétique est divisée en cantons selon la répartition linguistique de la population. Ainsi dans chaque canton, il y a l’une des quatre langues du pays qui est la langue de l’enseignement, de l’administration ; l’autre point de différence est qu’au moins deux de ces langues sont des langues internationales le français et l’allemand.

Mais la différence fondamentale entre les deux cas est évidemment d’ordre économique. La Mauritanie à l’heure actuelle, peut-elle se payer le luxe d’avoir un système éducatif où il s’agirait de former des enseignants, d’éditer des manuels dans les quatre langues nationales en plus de deux langues étrangères au moins ?

La réponse ne laisse aucun doute. Déjà avec une seule langue nationale et deux langues étrangères, depuis le primaire jusqu’à la fin du secondaire, les moyens tant matériels qu’humains font cruellement défaut. Dans une conjoncture économique, marquée par la croissance sans précédent des effectifs scolaires et la raréfaction des ressources correspondantes de l’Etat, l’heure ne devrait-elle pas être à la rationalisation des moyens?

De même, au moment où des milliers d’agents et de cadres, sortis des écoles nationales de formation ou de l’étranger, se retrouvent chaque année au chômage devant les lois implacables du marché, leur dispenser une formation en pulaar, en soninké ou en wolof, n’est-ce pas réduire leurs chances d’emploi ? Il est utile de souligner que les personnels exclusivement formés en arabe ont beaucoup de mal à trouver du travail sur le marché de l’emploi (en dehors de la Fonction publique), à fortiori pour les autres langues nationales.

– L’environnement mondial

Notre époque est, on le sait, marquée par la mondialisation des échanges dans tous les domaines : moyens de communication, de transport, internet; ceux-ci se sont intensifiés de façon considérable, ce qui a multiplié les besoins en langues. Pour survivre, les pays se sont regroupés en vastes ensembles régionaux (Union Européenne, ASEAN, Union Africaine, etc.), ce qui fait que le marché des langues constitue aujourd’hui un enjeu majeur ; c’est pourquoi la maîtrise d’une ou de plusieurs langues est devenue une exigence dans la plupart des pays; le marché florissant des langues en témoigne.

Conscients de l’importance de ces enjeux, de nombreux pays ont introduit deux langues étrangères au niveau de l’enseignement primaire; c’est le cas par exemple des pays de l’Union Européenne. Toutes les langues enseignées sont des langues internationales, instrument de communication et véhicule de savoirs scientifiques, économiques et technologiques, etc.

L’usage d’une langue locale permettrait-il de communiquer avec le monde extérieur et d’établir des échanges commerciaux, diplomatiques et scientifiques ?

6. Conclusion

Compte tenu de ce qui précède, il ressort clairement que notre pays n’a voulu ou pu jusqu’ici définir une politique linguistique consensuelle, juste et réaliste, émanation de la société mauritanienne dans son ensemble. Les quelques tentatives qui ont été menées l’ont été à coups de réformes éducatives jamais achevées et souvent décidées sous la pression des revendications nationalistes. C’est pourquoi, il nous semble que le moment est venu de convoquer des Etats Généraux de l’éducation ou d’autres cadres de concertation afin que les Mauritaniens de tous bords mettent cartes sur table et trouvent un compromis, en toute sérénité et objectivité.

En attendant, il me semble que toute politique linguistique future prenant comme point de départ une réforme de notre système éducatif devrait s’appuyer sur les grandes lignes suivantes :

– Le choix d’une langue véhiculaire : utilisée dans l’administration, à l’école dans les médias, elle sera un facteur d’unification et de cohésion nationale. A l’heure actuelle, pour des raisons institutionnelles, démographiques, géopolitiques et académiques, cette fonction devrait revenir à la langue arabe.

A cette fin, l’Etat devrait prendre les dispositions nécessaires afin que l’arabe soit effectivement une langue de travail, conformément à la Constitution ;

– La promotion et l’enseignement des autres langues nationales, particulièrement durant les premières années du cycle fondamental. Tous les moyens matériels et humains qui permettent à ces langues de se développer sur le plan académique doivent être dégagés (re-création de l’Institut des Langues Nationales, coopération avec les pays voisins, etc.).

De même, ces langues devraient être utilisées dans les campagnes d’alphabétisation et dans les médias (presse écrite et audiovisuelle) ;

– Le maintien du français comme langue d’ouverture : outre qu’il est la langue de formation de nombreux cadres et agents, il est utile de rappeler que cette langue est utilisée encore pour l’intercompréhension entre Mauritaniens et entre Mauritaniens et ressortissants des pays voisins ;

Toutefois, toute mesure à prendre doit entrer dans le cadre d’un aménagement linguistique comportant un échéancier raisonnable pour l’application harmonieuse des nouvelles dispositions. Cet aménagement linguistique doit tenir compte de la situation actuelle marquée par l’existence de deux groupes, l’un formé en français et l’autre en arabe, victimes tous les deux de réformes éducatives improvisées.

Par ailleurs, il serait souhaitable qu’au cours du prochain recensement, il y ait une variable consacrée à la langue maternelle afin qu’on puisse déterminer le nombre de locuteurs de chaque langue (loin de moi le modèle libanais) ; les données recueillies permettront de réaliser les plans de développement et de mieux cibler les campagnes d’alphabétisation ainsi que l’implantation éventuelle des radios communautaires.

En définitive, afin de garantir le succès de la politique linguistique du pays, les Mauritaniens devraient être mus uniquement par l’intérêt supérieur du pays. Le temps n’est plus aux querelles byzantines, ni aux idéologies éculées ; il n’y a plus de place aux esprits étriqués et sectaires, ni aux marchands d’illusions (j’allais dire marchands de canons).

Un dialogue franc, sincère et constructif entre tous les acteurs concernés permettrait –j’en suis sûr-de briser les barrières psychologiques et de déjouer tous les pièges en vue de l’avènement d’une Mauritanie nouvelle, réconciliée avec elle-même. Ainsi, grâce à l’adoption d’une attitude éclectique, à la sérénité et à la confiance réciproque, nous pourrons bâtir la Mauritanie de demain, celle dont nous rêvons tous, à savoir une nation arc-en-ciel, juste et égalitaire; est-ce impossible ?

Mohamed Vall ould Cheikh

Docteur en didactologie des langues et des cultures

 

Bibliographie (sélective)

OULD CHEIKH ( Mohamed Vall), le français en Mauritanie : bilan et perspectives, éd. Septentrion (Fichier central des thèses), 1996, Lille, France ;

OULD ZEIN (Bah) et QUEFFELEC (Ambroise), Le français en Mauritanie, Edicef, 1998;

SOUNKALO (Jiddou), la situation linguistique en Mauritanie, in Notre Librairie, janvier-mars, 1995;

– Maître TOURE (Moctar), L’arabisation en Mauritanie, publié sur le site CRIDEM, le 30 mars 2010 ;

DIA (Alassane Ndiengoudi), la gestion officielle du plurilinguisme ou l’histoire de la politique linguistique de la Mauritanie de l’indépendance à nos jours, article publié sur le site flamnet.