Pour la réinsertion des langues nationales dans le système éducatif

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2005
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INTRODUCTION :  

Dans un contexte caractérisé par une plus grande démocratisation des structures de la vie publique, et au regard des promesses tenues par les candidats lors de la dernière élection présidentielle, nous, associations culturelles  Pulaar, Soninké et Wolof, élaborons le présent document pour apporter notre contribution aux Etats Généraux de l’Education et à l’émergence d’une nouvelle politique linguistique orientée vers le multilinguisme et fondée sur le respect des communautés nationales, de leurs langues et de leurs cultures. 

INTRODUCTION :  

Dans un contexte caractérisé par une plus grande démocratisation des structures de la vie publique, et au regard des promesses tenues par les candidats lors de la dernière élection présidentielle, nous, associations culturelles  Pulaar, Soninké et Wolof, élaborons le présent document pour apporter notre contribution aux Etats Généraux de l’Education et à l’émergence d’une nouvelle politique linguistique orientée vers le multilinguisme et fondée sur le respect des communautés nationales, de leurs langues et de leurs cultures. 

Pendant que d’autres pays s’approprient l’expérience réussie d’enseignement des langues nationales entreprise par l’ex Institut des langues Nationales (ILN) sur l’ensemble du cursus de l’Ecole Fondamentale de 1982 à 1999, il n’est pas exagéré de demander aux hautes autorités nationales de réexaminer cette expérience pour en tirer des leçons objectives et en vue de les appliquer dans le système éducatif national.

Aujourd’hui l’utilisation des langues nationales dans tous les domaines de la vie nationale, et plus particulièrement dans l’éducation, est une tendance mondiale comme le soulignent le réseau LINGUAPAX de l’UNESCO, la Conférence des Ministres de l’Education Nationale (CONFEMEN), les Etats membres de l’Agence Internationale de la Francophonie (AIF), et même la Banque Mondiale. Celle-ci, après avoir longtemps sous-estimé la question des langues nationales, en fait aujourd’hui un des facteurs clefs du développement des systèmes éducatifs africains.

L’expérience mauritanienne : 

Enseignement des langues nationales et Alphabétisation 

L’Institut des langues nationales (ILN)  

Créé par Décret 79.348/PG/MEFS du 10/12/1979, l’ILN «a pour mission d’organiser, de coordonner et de promouvoir l’ensemble des recherches appliquées dans le domaine de toutes les langues nationales. Dans ce cadre, il est chargé, dans une première phase, de préparer l’introduction dans l’enseignement des langues Pulaar, Soninke et Wolof, d’assurer la formation du personnel et l’élaboration du matériel pédagogique, d’étudier les incidences pratiques et financières de cette introduction et les problèmes posés par l’utilisation de ces langues dans les différentes fonctions linguistiques (langues de l’enseignement, langues de l’information et des moyens de communication, langues de l’économie et du travail, etc.) ». Il a été fermé en 1999 à la suite de la dernière Réforme de  l’Enseignement (Loi 99. 012 du 26 avril 1999) malgré les acquis qu’il a  enregistrés au niveau de la formation, de l’Enseignement, de la Recherche et des évaluations internes et surtout externes dont il a fait l’objet.

La Formation : de 1980 à 1999, ILN a formé dans les langues en question plus de 500 enseignants, conseillers pédagogiques et inspecteurs de l’enseignement, dans des séminaires organisés dans les ENI, dans les Directions régionales de l’Enseignement Fondamental des wilayas, et enfin dans son CENTRE DE FORMATION sis à Nouakchott.

L’Enseignement : L’ILN a encadré 52 classes expérimentales (66 divisions pédagogiques installées au Trarza, Brakna, Gorgol, Guidimakha, Assaba, Nouakchott, Dakhlet Nouadhibou, Tiris Zémour, et ayant les langues Pulaar, Soninke et Wolof comme langues premières ; puis 14 classes de la filière Arabe installées à Nouakchott, Rosso et Kaédi, de 1982 à 1988, ayant ces mêmes langues comme langues secondes. Le Ministère de l’Education Nationale (MEN) a mis 109 enseignants à la disposition de l’ILN. Après une longue préparation avec l’appui et les expériences des pays de la sous -région, l’expérimentation des langues concernées a démarré en octobre 1982 avec une première promotion de douze classes. Les langues concernées ont été expérimentées ainsi qu’il suit :

De 1982 à 1988 : les langues Pulaar, Soninke et Wolof ont été enseignées comme langues premières et véhicules d’apprentissage de toutes les matières durant tout le cursus de 6 ans de l’école fondamentale ;   l’Arabe est enseigné dans ces classes comme langue seconde.

Dans la même période, de 1982 à 1988 : les langues Pulaar, Soninke et Wolof sont enseignées comme Langues secondes aux enfants de la Filière Arabe (14 classes à Nouakchott, Rosso et Kaédi,).

De 1988 à 1999 : les 3 langues Pulaar, Soninke et Wolof sont enseignées pendant les deux premières années de l’école fondamentale comme véhicules d’enseignement de toutes les disciplines de l’école ; la langue seconde (Arabe ou Français au choix des parents, suivant une instruction ministérielle) est introduite d’abord oralement au 3e trimestre de la 2e Année, puis à l’oral et à l’écrit en 3ème Année. Le transfert des connaissances de la langue 1 à la langue seconde s’effectue graduellement sauf pour les mathématiques qui restent enseignées dans les langues maternelles ;  les langues premières (langues 1) deviennent à partir de la 4ème Année matières du programme ; les langues secondes (Arabe/Français) deviennent alors les principales langues d’instruction et de formation pour la poursuite des études au secondaire. Durant toute la longue période de 18 ans d’expérimentation le contenu des programmes et du matériel didactique est resté le même, à savoir celui des programmes officiels de l’enseignement fondamental, mais traduits dans les trois langues (sauf les manuels de lecture qui sont essentiellement constitués de contes et légendes). Les horaires sont également les mêmes que ceux du système formel.

L’Evaluation : A plusieurs reprises les travaux de l’ILN ont fait l’objet d’évaluations, notamment par le Bureau Régional de l’UNESCO basé à Dakar (BREDA) et par une Commission Technique du MEN.

L’évaluation du BREIDA

Le BREIDA a évalué du 23 novembre au 3 décembre 1981 les travaux préparatoires de l’expérimentation, et en mars -avril 1984 les résultats de l’expérimentation. Les résultats de cette dernière évaluation sont les suivants :

– «A l’oral comme à l’écrit, les résultats restent satisfaisants » ;

– « Une réelle motivation des enfants vis-à-vis de leur langue et du travail scolaire » ;

– «Les contenus enseignés ne semblent pas poser de difficultés majeures pour le niveau actuel des élèves » ;

– Les maîtres « font preuve d’un engagement réel pour la cause des langues nationales »

– «Les parents d’élèves manifestent un enthousiasme réel à l’égard des classes expérimentales » ;

– Des insuffisances : au niveau de l’encadrement pédagogique, la nécessité d’apporter des correctifs aux manuels scolaires et d’intensifier la campagne de sensibilisation en direction des collectivités, le besoin de recyclage.

– Moyenne du Taux de réussite scolaire : 82.10 % en milieu rural ; 93.15 % en milieu semi- urbain ;  81.52 % en milieu urbain.  

– La Commission du BREDA suggère « la refonte urgente des textes organiques régissant l’Enseignement Fondamental »  et souligne que « les conditions politiques et psycho- sociologiques déjà réunies plaident pour la généralisation de l’enseignement des langues nationales… ».   

L’évaluation de la Commission technique du MEN :  désignée par Note de service n° 00668/MEN/28/01/1988), elle a travaillé en 1988 et en 1989. Elle aboutit à la conclusion suivante :

«Si nous admettons le principe selon lequel la qualité d’un enseignement, pour ne pas dire l’efficacité d’un système éducatif se mesure par rapport au taux de réussite scolaire, force nous est de conclure d’une manière générale que l’expérience des langues Pulaar, Soninke et Wolof, dans l’ensemble des classes qui ont fait l’objet de notre évaluation, a connu un succès honorable avec un pourcentage moyen de 61 % pour les filières … (Langues 1) et 71 % pour les classes de filière Arabe du système traditionnel qui font Pulaar, Soninke, Wolof comme langue seconde. » Enfin la commission recommande au plan législatif « la prise de textes officiels relatifs à l’organisation de l’enseignement des langues nationales. »

La Recherche : L’ex ILN créé en 1979 a impulsé et accéléré la recherche pour le développement des langues nationales. Les travaux entrepris sous l’égide de l’ILN ont été effectués dans le cadre de projets communs regroupant les pays ouest africains partageant avec nous ces langues (Mauritanie, Mali, Sénégal, Guinée Conakry, Guinée-Bissau, Burkina- Faso…). Dans ce cadre les travaux de recherches ci-après ont été effectués :

Dialectologie : les enquêtes dialectales menées de 1983 à 1984 avec le concours de linguistes maliens et sénégalais ont été couronnées par la publication d’un ouvrage sur l’état de chacune des trois langues en Mauritanie.

Terminologie : de 1981 à 1999, ont été élaborés plusieurs terminologies d’enseignement, de lexiques spécialisés en mathématiques, sciences d’observation, grammaire et linguistique, histoire et géographie, vocabulaire du milieu scolaire.

1.4.3. Lexicographie : de 1984 à 1998, l’ILN s’est attelée à la réalisation des dictionnaires monolingues Pulaar, Soninke et Wolof. En 1999, au moment de l’arrêt des travaux de l’ILN, les trois Commissions de langues étaient assez avancées dans l’élaboration de ces dictionnaires. Parallèlement à ce travail des lexiques spécialisés en élevage, santé et hygiène ont été réalisés.

Les classes expérimentales, les services de Santé, d’Elevage, d’Agriculture, les chercheurs, les étudiants et les associations culturelles ont été les principaux utilisateurs des travaux de recherche, documents ou manuels publiés par l’ILN.

L’alphabétisation:

Au niveau de l’Etat, la Stratégie nationale d’éradication de l’analphabétisme et le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) n’ont jamais pris en considération les langues nationales Pulaar, Soninke et Wolof.

Cependant il existe d’autres acteurs impliqués dans la lutte contre l’analphabétisme, à savoir les ONG, les associations culturelles dont les nôtres. Ces associations n’ont jamais cessé de manifester leur disponibilité à appuyer bénévolement l’effort national en matière de lutte contre l’analphabétisme dans ces trois langues. Elles ont formé des formateurs et alphabétiseurs, élaboré des curricula et confectionné des  manuels, des revues ou journaux dans ces langues et souhaitent la capitalisation de leurs acquis.

Propositions   

1. Officialisation de toutes les langues nationales pour permettre à tous les citoyens de jouir pleinement de leurs droits à l’information et à l’éducation dans leurs langues.

2. Sauvegarde et développement des acquis de l’expérience de l’ILN ; poursuite du travail de recherche (dictionnaires monolingues, grammaires, manuels multilingues de formation et/ou d’apprentissage de toutes les quatre langues nationales) ; harmonisation des travaux au niveau international (toutes nos langues nationales sont transfrontalières ou transnationales) ; mise en place d’une coordination efficace, avec pour base une institution autonome dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière pour poursuivre le travail de l’ex ILN.

3. Insertion de toutes les langues nationales dans le cadre du système éducatif national.

Conclusion 

Aujourd’hui les spécialistes sont unanimes à reconnaître que l’adaptation des enseignements aux problèmes du développement économique et social des Etats africains passe par la revalorisation et l’introduction des langues nationales à l’école. Les langues maternelles des enfants constituent des facteurs d’amélioration des performances des élèves et de la qualité de l’éducation. En outre leur usage à l’école renforce la solidarité entre les communautés parce que l’introduction des langues nationales dans l’enseignement favorise l’émergence du multilinguisme, source d’équilibre et d’ouverture aux autres langues et cultures. Les langues nationales peuvent également servir de tremplin pour la formation des adultes et l’éducation des enfants déscolarisés.

Pour des raisons d’équité et de justice, pour permettre à tous les citoyens de jouir pleinement de leurs droits culturels garantis par la Constitution ainsi que par les Conventions internationales ratifiées par le pays, et pour renforcer l’unité nationale, nous exhortons les décideurs politiques à prendre en compte toutes les langues nationales dans les politiques et stratégies nationales en matière d’éducation, de recherche, et d’alphabétisation.

Fait à Nouakchott, le 19 mars 2008

LES ASSOCIATIONS CULTURELLES NATIONALES 

– L’Association pour la Renaissance du Pulaar en République Islamique 

de Mauritanie (ARPRIM), Récépissé N° 000542/MINT/SAD du 4 juin 1976 

– L’Association Mauritanienne pour la Promotion de la Langue et de la 

Culture Soninké (AMPLCS), Arrêté N° 009/MINT du 3 mars 1978 

-L’Association pour la Promotion de la Langue Wolof en République

Islamique de Mauritanie (APROLAWORIM), Arrêté N° 1483/MINT/DAP 

du 2 décembre 1980 

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REFERENCES :

· Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 10 décembre 1948.

· Déclaration sur l’élimination de l’analphabétisme pendant la décennie des Nations Unies pour le Développement, 19 novembre 1964.

· Décret 79.  348/PG/MEFS du 10/12/1979 portant création de l’Institut des Langues Nationales (ILN). 

· Décret N° 80. 067/PG/MEFS du 11 avril 1980 portant nomination du Président et des membres du Conseil d’Administration de l’ILN.

· Décret 81. 072 /PG/MEN fixant les alphabets et la transcription des langues nationales Pulaar, Soninké et Wolof en caractères latins.

· Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels entré en vigueur le 3 janvier 1976

· Décret 84. 180 portant désignation d’une commission nationale de la réforme de l’Enseignement

· Arrêté N° 346/MEN/DEF du 5 juin 1984 portant nomination des membres de la Commission de Supervision de l’Alphabétisation Fonctionnelle. 

· Circulaire N° 003/MEN/du 13 janvier 1987 relative à l’encadrement des classes expérimentales en langues nationales. 

· Décret 87. 010 du 21 janvier 1987 portant création d’un Conseil National de l’Alphabétisation. 

· Note de service n° 00668/MEN en date du 28/01/1988 désignant les membres de la Commission Technique du MEN chargée d’évaluer l’expérimentation de l’ILN.

· Note de service N° 00209/MEN/SG/DEF/ILN du 9/4/1989 désignant les personnes chargées de l’encadrement et de l’inspection des enseignants dans les classes expérimentales en langues nationales

· Résolution sur l’Année Internationale de l’Alphabétisation en 1989.

· Loi 99. 012 du 26 avril 1999 portant Réforme de l’Enseignement.

· Déclaration Mondiale sur l’Education pour Tous « Déclaration de Jomtien, mars 1990 »

· Déclaration de Hambourg pour l’Education des Adultes, juillet 1997.

· Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (entrée en vigueur le 29/11/1999)

· Protocole à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique

· Cadre d’action de Dakar : Education pour Tous / tenir nos engagements, avril 2000.

· Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, 2 novembre 2001.

· Constitution de la RIM du 25 juin 2006 (Article 6). 

· ONU, Convention CEDAW : Convention sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

· ONU, Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.